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Informations sur la décision

Résumé :

Mots-clés: Commissaire à l’intégrité du secteur public (le commissaire), requête interlocutoire, suspension des procédures, ajournement, révision judiciaire, décision discrétionnaire.

Contexte: Il s’agit d’une requête interlocutoire déposée par le plaignant afin de suspendre les procédures devant le Tribunal considérant sa demande de révision judiciaire d’une décision interlocutoire précédente du Tribunal. Le plaignant invoque les conséquences de la décision contestée sur le déroulement des procédures et particulièrement sur sa capacité à produire toute la preuve disponible au soutien de ses prétentions. Pour leur part, les défendeurs soutiennent que la requête du plaignant ne répond pas à l’intérêt de la justice et qu’elle ne met pas en cause une question sérieuse à déterminer puisque le Tribunal a déjà tranché sur la pertinence des documents et la question de l’existence d’un acte répréhensible a déjà été tranchée par la Cour d’appel fédérale. En dernier lieu, les défendeurs soutiennent que retarder l’audience devant le Tribunal leur causerait préjudice.

Motifs: L’autorité de suspendre une audience ou les procédures devant un tribunal administratif est souvent implicite, et une partie à une instance devant un tribunal n’a pas un droit automatique à un ajournement des procédures. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire accordé au Tribunal et doit être exercé selon les principes de l’équité procédurale. Les Règles de pratique du Tribunal s’appliquant à toutes les parties, les défendeurs ont droit de voir le dossier conclu avec célérité et sans formalisme. Il parait à ce stade contraire à l’intérêt public de suspendre les procédures et de retarder l’audience de la plainte du plaignant.

Contenu de la décision

Référence : Agnaou c. Service des poursuites pénales du Canada et. al., 2019 TPFD 1

Dossier : T-2017-01


Rendue à : Ottawa (Ontario)
Le 21 février 2019

 

Affaire concernant une demande du commissaire à l’intégrité du secteur public présentée au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs Canada

 

ENTRE :

YACINE AGNAOU
plaignant

-et-

LE COMMISSAIRE À L’INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC DU CANADA

-et-

SERVICE DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA
employeur

-et-

ANDRÉ A. MORIN, BRIAN SAUNDERS, GEORGES DOLHAI ET DENIS DESHARNAIS
défendeurs à titre individuel


 

 


DÉCISION ET MOTIFS CONCERNANT LA REQUÊTE EN SUSPENSION DU PLAIGNANT

I.  Introduction

[1]  Me Agnaou, le plaignant, demande la suspension des procédures présentement en cours devant le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles ( le Tribunal), dans l’attente de la décision de la Cour d’appel fédérale sur la demande de contrôle judiciaire qu’il a déposée le 7 décembre 2018.

[2]  En cas de refus, Me Agnaou demande subsidiairement au Tribunal de renvoyer la question à la Cour d’appel fédérale pour être traitée comme un renvoi selon l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F-7).

[3]  Devant la Cour d’appel fédérale, Me Agnaou conteste l’ordonnance du Tribunal ayant rejeté sa requête visant la divulgation de documents non listés dans l’exposé des précisions des intimés. Au soutien de sa demande, Me Agnaou soutient que la soussignée a;

1.  Erré sur les principes juridiques qui devaient fonder son analyse en lui permettant de déterminer le véritable portée de l’obligation de divulgation prévue par la législation relative à la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles ( paragraphes 10,19,20,24 et 25 de la décision) et ainsi l’interprétation correcte des alinéas 20(1)(c) et 20(1)e) des Règles de pratique du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (DORS/2011-170);

2.  Erré sur l’application de la norme de pertinence et de l’exigence d’une description suffisante des documents requis par le plaignant au stade de la divulgation préalable à l’instruction d’une cause devant le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs du Canada, et ce, eu égard notamment aux droits consacrés au paragraphe 21.6(1) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (L.C. 2005, ch.46);

3.  Conclu erronément à l’absence de démonstration de l’existence de documents requis par le plaignant.

[4]  Tel que détaillé ci-après, le Tribunal examinera la requête de Me Agnaou selon le critère de l’intérêt public et, pour les motifs exposés ci-dessous, la requête de Me Agnaou sera rejetée.

II.  Position des parties

A.  Me Agnaou

[5]  Me Agnaou demande la suspension des procédures du Tribunal puisque la décision que le Tribunal a rendue le 13 novembre 2018 entraînerait des conséquences sur le déroulement des procédures à venir.

[6]  Me Agnaou soumet que les autres parties chercheront à s’appuyer sur la décision contestée du Tribunal pour faire reconsidérer ses sujets déjà traités, en l’occurrence, la pertinence des témoins, ou encore pour formuler leurs objections à la preuve au cours de l’enquête et audition à venir. Il invoque les conséquences de la décision contestée sur le déroulement des procédures et particulièrement sur sa capacité à produire toute la preuve disponible au soutien de ses prétentions.

[7]  Me Agnaou reconnaît que l’instruction des plaintes par le Tribunal se fait sans formalisme et avec célérité, mais précise qu’elle ne peut évidemment pas se faire sans permettre aux plaignants de mettre en preuve l’ensemble de la preuve pertinente. Me Agnaou plaide que la décision visée par la demande de contrôle judiciaire délimite la preuve pertinente disponible pour l’enquête et audition au fond de la cause du plaignant. De plus, il signale la nature des jugements qui maintiennent l’objection à la preuve, lesquels doivent être portés en appel sans attendre le jugement final au fond et ce, justement par souci de célérité et de bon usage des ressources judiciaires et celles des parties, alors que se pose le risque de reprise des procédures. À titre d'illustration, Me Agnaou réfère à l'article 31 du Code de procédure civile du Québec.

[8]  Me Agnaou indique ne pas encore avoir déposé de demande de sursis à la Cour d’appel fédérale. Il plaide qu’il ressort assez nettement que la suspension de l'instance devant le Tribunal sert l'intérêt de la justice et rencontre les critères du test tripartite développé dans RJR-MacDonald Inc. c. Canada, 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 311 qu'appliquerait la Cour d'appel fédérale si elle était saisie d'une demande similaire.

 

B.  Les intimés

[9]  Pour leur part, les intimés s’opposent tous à la requête de Me Agnaou. Essentiellement, ils soutiennent que la requête de Me Agnaou ne répond pas à l’intérêt de la justice. Ils soutiennent de plus qu’elle ne met pas en cause une question sérieuse à déterminer puisque le Tribunal a déjà tranché sur la pertinence des documents et la question de l’existence d’un acte répréhensible a déjà été tranchée par la Cour d’appel fédérale. En dernier lieu, les intimés soutiennent que retarder l’audience devant le Tribunal leur causerait préjudice puisque la mémoire des témoins peut s’estomper, la plainte de représailles datant de plus de cinq (5) ans, et que les allégations de Me Agnaou pourrait causer un tort à la réputation des intimés. Selon eux, Me Agnaou n’a fait état d’aucune circonstance exceptionnelle permettant la suspension des procédures.

[10]  Les intimés soutiennent donc qu’il est dans l’intérêt de la justice de maintenir les dates d’audience déjà confirmées par le Tribunal et de rejeter la requête de Me Agnaou.

III.  Analyse

[11]  L’autorité de suspendre une audience ou les procédures devant un tribunal administratif est souvent implicite, et une partie à une instance devant un tribunal n’a pas un droit automatique à un ajournement des procédures. Il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire accordé au tribunal et devant être exercé selon les principes de l’équité procédurale et la justice naturelle; le tribunal étant maître de sa propre procédure (Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560 ; Pierre c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 849). Les demandes de suspension des procédures ne devraient être accordées que dans des circonstances exceptionnelles (Duverger c 255304330 Québec Inc., 2018 TCDP 5, para 71).

[12]  Quant au critère qu’il convient d’utiliser, Me Agnaou indique avec justesse que la Cour d’appel fédérale, si elle était appelée à décider d’une demande de suspension des procédures du Tribunal, aurait recours au critère tripartite de RJR McDonald. Me Agnaou indique qu’une suspension des procédures serait dans l’intérêt de la justice et au surplus, qu’une telle suspension répondrait aux critères établis par l’arrêt RJR-MacDonald Inc.

[13]  En lien avec le critère qu’il convient d’utiliser pour analyser la demande de suspension de Me Agnaou, le Tribunal note que la Cour d’appel fédérale s’est d’abord clairement prononcée en faveur du recours au critère seul de l’intérêt public. En effet, dans sa décision Mylan Pharmaceuticals ULC c Astrazeneca Canada Inc. 2011 CAF 312 para 5 (Mylan), la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’il convient de distinguer deux cas de figure. Dans le premier, la Cour est appelée à interdire à un autre organisme d’exercer sa compétence, et elle devra alors utiliser le test tripartite développé par la Cour suprême du Canada dans RJR McDonald. Dans le second, la Cour, ou en l’instance le Tribunal, doit décider en somme de n’exercer sa compétence que plus tard, et sa décision reposera alors sur les considérations d’intérêt public, les critères rigoureux de RJR McDonald ne convenant pas à cet exercice.

[14]  Cependant, dans une décision plus récente, la Cour d’appel fédérale a indiqué que les cours de justice, lorsqu’elles se penchent sur ce qu’elle nomme alors l’intérêt de la justice, peuvent tenir compte de certaines des considérations énoncées dans RJR–MacDonald (Clayton c Canada (Procureur général) 2018 CAF 1 para 26)).

[15]  Il parait clair que Me Agnaou ne satisfait pas le critère de RJR McDonald, n’ayant soumis aucun argument sur les trois parties du test et n’ayant, en outre, soumis aucune preuve de l’existence d’un préjudice irréparable si sa demande n’est pas accordée (AstraZeneca Canada Inc c Apotex Inc, 2011 CF 505 para 56, 2011 affirmé CAF 211; Aventis Pharma SA c Novopharm Ltd, 2005 CF 815 para 59-61, affirmé 2005 CAF 390; Syntex Inc c Novopharm Ltd (1991), 36 CPR (3e) 129 (CAF) p 135);United States Steel Corporation c Canada (Procureur général), 2010 CAF 200 para 7).

[16]  Ainsi, et tel que cela est indiqué par la Cour d’appel fédérale, le Tribunal utilisera le critère moins onéreux de l’intérêt public aussi appelé, intérêt de la justice aux fins d’examiner la demande de Me Aganou. La décision du Tribunal reposera donc sur des considérations d’intérêt public telle la nécessité que les instances se déroulent équitablement et avec célérité (Mylan para 5). Le principe en est un d’équité, il s’agit de balancer les inconvénients et les intérêts des parties en cause, du Tribunal et de l’intérêt public. En tentant de balancer ces divers critères, le Tribunal doit tenir compte des raisons motivant un ajournement, de la nécessité de l’ajournement, des conséquences sur les parties de refuser ou d’accepter un tel ajournement et des conséquences d’octroyer l’ajournement sur l’intérêt public.

[17]  Me Agnaou a charge de prouver les éléments de l’intérêt public qui justifient de suspendre les procédures devant le Tribunal. Il soumet que les autres parties chercheront à s’appuyer sur la décision contestée du Tribunal pour faire reconsidérer ses sujets déjà traités, en l’occurrence, la pertinence des témoins, ou encore pour formuler leurs objections à la preuve au cours de l’enquête et audition à venir. Il invoque les conséquences de la décision contestée sur le déroulement des procédures et particulièrement sur sa capacité à produire toute la preuve disponible au soutien de ses prétentions.

[18]  Les intimés soutiennent que retarder l’audience devant le Tribunal leur causerait préjudice puisque la mémoire des témoins peut s’estomper, la plainte de représailles datant de plus de cinq (5) ans et les allégations de Me Agnaou peuvent causer un tort à la réputation des intimés.

[19]  D’abord, le Tribunal ne peut conclure, tel que le fait Me Agnaou, que le sujet de la pertinence des témoins a déjà été traitée par le Tribunal dans le sens définitif qu’il lui prête.

[20]  Deuxièmement, le Tribunal ne peut conclure, tel que le demande Me Agnaou qu’une suspension de l’instance est justifiée puisque la décision contestée est susceptible d’avoir un impact sur le déroulement des procédures. Il apparait comme une évidence que toutes ses décisions interlocutoires sur la preuve et les témoins sont susceptibles d’avoir un impact sur la preuve, sur les témoins et sur le déroulement des procédures. Ainsi, si la mention seule d’une telle conséquence entrainait une suspension des procédures, cela créerait, en quelque sorte, une suspension automatique, ce qui parait contraire aux exigences de célérité et non formalisme   prévues à la Loi et au principe reconnue que le Tribunal est maitre de sa procédure Le principe de maintien d'objection à la preuve comme l'entend Me Agnaou ne s'applique pas en droit administratif sauf exception.

[21]  Troisièmement, les intimés ont répété à maintes reprises avoir divulgué tous les documents pertinents, et Me Agnaou n’a pas démontré que des documents additionnels pertinents existent, le tout tel que confirmé justement dans la décision contestée.

[22] 

[23]  Cinquièmement, le paragraphe 21(1) de la Loi prévoit que l’instruction des plaintes se fait sans formalisme et avec célérité dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique, principe central repris à l’article 2 des Règles, ce qui milite, vu le contexte, à l’encontre d’une suspension.

[24]  Ainsi, le Tribunal conclut que Me Agnaou n’a pas démontré qu’il était dans l’intérêt public de suspendre les procédures du Tribunal et le Tribunal rejettera donc sa requête.

[25]  Finalement, le Tribunal n’a pas été convaincu que la question devait ou pouvait être renvoyée à la Cour d’appel fédérale  en vertu des articles 18.3 et 28(2) de la Loi sur les Cours Fédérales et n’accèdera donc pas à la demande de Me Agnaou à cet égard.

 

 

DÉCISION

 

LE TRIBUNAL CONCLUT que 

La requête visant la suspension des procédures devant le Tribunal dans l’attente de la décision de la Cour d’appel fédérale sur la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  FAIT à Ottawa, ce 21e jour de février 2019.

 

    SIGNÉE au nom du Tribunal par la présidente.

 

 

 

     « Martine St-Louis »  .

  L’honorable Martine St-Louis

 

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