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Résumé :

Mots-clés: Commissaire à l’intégrité du secteur public (le commissaire), requête interlocutoire, divulgation de documents, équité procédurale, principe promulgué par l’arrêt Stinchcombe.

Contexte: Il s’agit d’une requête interlocutoire déposée par le plaignant demandant la divulgation supplémentaire de quatre catégories de documents non listés dans l’exposé de précisions des défendeurs. Il indique que, selon l’exposé de précisions des défendeurs, il y a « nécessairement » des documents qui n’ont pas été divulgués et que les défendeurs doivent procéder à une divulgation complète et de bonne foi. Il indique que l’arrêt Stinchcombe de la Cour Suprême s’applique aux procédures devant le Tribunal. Les défendeurs confirment avoir divulgué tous les documents pertinents et que la requête du plaignant ne permet pas d’identifier les documents dont la divulgation est demandée, ni si ces documents existent et représente plutôt une « partie de pêche ». Ils ajoutent que les documents de l’une des catégories en particulier ne sont pas pertinents au litige.

Motifs: Le Tribunal a tout d’abord rappelé que la la Cour Suprême du Canada a déterminé que la norme de communication de l’arrêt Stinchcombe ne s’applique pas dans le contexte administratif. En se basant sur la jurisprudence, le Tribunal a indiqué que la communication demandée doit être pertinente à l’enjeu en litige et ne doit pas être vague ou équivaloir à une partie de pêche et les documents demandés doivent conséquemment être décrits de manière suffisamment précise. Le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas établi la pertinence, ni l’existence d’ailleurs, des documents demandés et a rejeté la requête.

Contenu de la décision

Référence : Agnaou c. Service des poursuites pénales du Canada et. al., 2018 TPFD 2

Dossier : T-2017-01


Rendue à : Ottawa (Ontario)
Le 13 novembre 2018

 

Affaire concernant une demande du commissaire à l’intégrité du secteur public présentée au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs Canada

 

ENTRE :

YACINE AGNAOU
plaignant

-et-

LE COMMISSAIRE À L’INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC DU CANADA

-et-

SERVICE DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA
employeur

-et-

ANDRÉ A. MORIN, BRIAN SAUNDERS, GEORGES DOLHAI ET DENIS DESHARNAIS
défendeurs à titre individuel


 


DÉCISION INTERLOCUTOIRE VISANT UNE REQUÊTE POUR DIVULGATION SUPPLÉMENTAIRE


I.  Introduction

[1]  Le Tribunal doit trancher la requête déposée par le plaignant, Me Yacine Agnaou, qui demande la divulgation, par les intimés, de documents non listés dans leurs exposés des précisions. Me Agnaou appuie sa requête sur l’article 17 et sur les alinéas 20(1)c) et e) des Règles de pratique du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, DORS/2011-170 [les Règles]. Le texte intégral de ces articles est reproduit en annexe.

[2]  Essentiellement, Me Agnaou allègue que la liste de documents déposée par les intimés, le Service des poursuites pénales du Canada et Mes Brian Saunders, Georges Dolhai et Denis Desharnais (collectivement nommé le SPPC), est à sa face même incomplète et qu’elle ne répond pas à l’exigence du sous-alinéa 20(1)c)(iii) des Règles.

[3]  Il allègue aussi que l’intimé Me André A. Morin n’a, quant à lui, déposé aucune liste de documents avec son exposé des précisions, ce qui ne satisfait pas au sous-alinéa 20(1)c)(iii) des Règles et que, si Me Morin n’a plus les documents, il doit minimalement se conformer aux obligations découlant de l’alinéa 20(1)e) des Règles.

[4]  Dans sa requête, Me Agnaou demande donc la divulgation des documents qui tomberaient dans l’une des quatre catégories de communications suivantes :

(1)  Les documents concernant les communications internes du SPPC entre ce dernier, l’Agence du revenu du Canada (ARC) et Justice Canada en lien avec la décision de ne pas intenter de poursuites dans le dossier A;

(2)  Les documents concernant les communications internes du SPPC en lien avec l’exercice du droit de priorité de Me Agnaou (notamment en lien avec l’entente du 26 juin 2009);

(3)  Les documents concernant les communications entre le SPPC et la Commission de la Fonction Publique (CFP) en lien avec le droit de priorité de Me Agnaou;

(4)  Les documents concernant les communications internes du SPPC avec la CFP et Justice Canada en lien avec la reclassification des deux postes litigieux.

[5]  Les autres parties demandent au Tribunal de rejeter la requête. Ils confirment avoir divulgué tous les documents pertinents et répondent, essentiellement, que la requête de Me Agnaou ne rencontre pas les exigences de l’article 20 des Règles et celles développées par la jurisprudence en matière de divulgation préalable. Ils soutiennent collectivement que la requête de Me Agnaou ne permet pas d’identifier les documents dont la divulgation est demandée, ni si ces documents existent, et qu’elle est vague, imprécise et spéculative et représente à cet égard plutôt une « partie de pêche ». Ils ajoutent que les documents de l’une des catégories de communications en particulier ne sont pas pertinents au litige. Leur position respective est détaillée ci-dessous.

[6]  Pour les motifs détaillés ci-après, le Tribunal rejettera la requête de Me Agnaou. En bref, le Tribunal n’a pas été convaincu que les documents sont pertinents et qu’ils sont suffisamment décrits, tel que l’exige l’article 20 des Règles.

II.  Position des parties

A.  Le requérant, Me Agnaou

[7]  Me Agnaou allègue, pour chacune des catégories de communications dont il demande la divulgation, qu’il ressort des exposés des précisions des parties et des pièces qu’elles se sont communiquées, qu’il y a « nécessairement eu de nombreuses communications » en lien avec le sujet alors que les pièces produites par les intimés n’en comprennent aucune.

[8]  En ce qui a trait à la première catégorie de communications, Me Agnaou plaide que ces communications sont pertinentes afin d’ajouter à sa preuve « voulant qu’il ait procédé à une « divulgation » en vertu des articles 12 et 13 de la Loi; et, ensuite, contrer la preuve que les intimés pourraient vouloir produire à cet égard dans le but de convaincre qu’une telle « divulgation » n’aurait jamais eu lieu ».

[9]  Me Agnaou soutient que les trois (3) autres catégories de communications sont pertinentes pour ajouter à sa preuve « voulant qu’il y ait eu « représailles » à son encontre en vertu de la Loi et que ces représailles auraient un lien avec la « divulgation »; et ensuite, contrer la preuve que les intimés pourraient vouloir produire à cet égard dans le but de convaincre que de telles « représailles » n’auraient jamais eu lieu et que, si elles avaient eu lieu, elles n’étaient pas en lien avec la « divulgation » ».

[10]  Me Agnaou soutient que l’application efficace de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, ch 46 [la Loi] exige une divulgation complète et honnête. Il ajoute à cet égard que (1) l’objectif législatif sous-tendant le sous-alinéa 20(1)c)(iii) des Règles est de « forcer les organismes publics impliqués dans les situations qui ont été sélectionnées par le processus de tamisage confié par la Loi au CISPC et qui ont donc [mérité] d’être référées au Tribunal à procéder, en toute bonne foi et dans la plus grande transparence, à la divulgation de tous les documents qui pourraient être pertinents à l’enquête et audition devant le Tribunal »; et que (2) cette obligation de divulgation s’apparente à l’obligation dans le contexte pénal établi par l’arrêt R. c. Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326 et qu’un défaut appellera des sanctions de la même importance que les sanctions prévues dans le régime pénal.

[11]  Me Agnaou soutient que les intimés doivent pouvoir lui indiquer, en bref, s’ils ont ou ont déjà eu en leur possession des pièces qui tombent dans l’une des quatre (4) catégories précitées. Enfin, il demande au Tribunal d’ordonner aux intimés de lui divulguer les pièces qui tombent dans l’une des catégories précitées et qui ne sont pas incluses dans les pièces déjà produites et de se conformer aux alinéas 20(1)c) et e) des Règles, en prenant pour acquis que les pièces qui tombent dans l’une des quatre catégories sont des « documents pertinents ».

 

B.  Réponse du Commissaire à l’intégrité du secteur public (le Commissaire)

[12]  Le Commissaire rappelle quelques principes, soit (1) qu’il ne représente pas le plaignant devant ce Tribunal, mais l’intérêt public (El-Helou c Service administratif des tribunaux judiciaires (no 4), 2011 TPFD 4 au para 48 [El-Helou]); (2) que l’instance du Tribunal est judiciaire, mais ne relève pas du droit criminel; (3) que le paragraphe 21.6(1) de la Loi prévoit la possibilité pleine et entière pour les parties de faire valoir leurs arguments et pour avoir cette possibilité, les parties doivent obtenir la divulgation de renseignements potentiellement pertinents; (4) les procédures prévues par la Loi sont similaires à celles prévu par la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), ch H-6 [LCDP] et les principes applicables en matière de divulgation devant la Commission canadienne des droits de la personne s’appliquent également devant notre Tribunal (Agnaou c Canada (Procureur général), 2015 CAF 29 au para 62 [Agnaou]).

[13]  En lien avec les catégories de communications demandées, le Commissaire soumet que les documents de la première catégorie ne sont pas pertinents puisqu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un acte répréhensible a été commis afin de déterminer si le plaignant fait une divulgation protégée au sens de la Loi. La question de l’acte répréhensible n’est pas devant le Tribunal.

[14]  Concernant les documents des autres catégories, le Commissaire est d’avis que le plaignant n’a pas démontré qu’il existe d’autres documents, outre ceux qu’il a déjà en sa possession, que la requête du plaignant est spéculative et non suffisamment précise et que le plaignant aura l’opportunité de contre-interroger les témoins des parties adverses portant sur ces communications.

C.  Réponse de Me André A. Morin

[15]  Me Morin soumet qu’il n’a aucun document pertinent en sa possession qui n’a pas déjà été divulgué au plaignant antérieurement. De plus, puisque l’action est intentée contre lui en tant que fonctionnaire du SPPC, l’intimé souligne qu’il n’a pas accès à tous les documents du SPPC de manière générale.

D.  Réponse du SPPC.

[16]  Les intimés SPPC répondent que tous les documents pertinents qui étaient en leur possession ont été divulgués au plaignant. Ils ajoutent que la requête du plaignant est une demande à l’aveuglette (une « partie de pêche ») et qu’elle est spéculative.

[17]  De plus, selon les intimés, les documents en lien avec la décision de ne pas intenter de poursuite dans le dossier A ne sont pas pertinents. Ils soutiennent que ces documents se rapportent à la question de savoir si la décision de ne pas intenter de poursuite était ou non un acte répréhensible, question qui a fait l’objet de décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale (Agnaou précité) et dont le Tribunal n’est pas saisie.

[18]  Dans leur réponse, les intimés ont ajouté à leur exposé des précisions la liste des documents faisant partie du dossier de la Cour fédérale (T-2064-15) à laquelle ils avaient référé, afin de se conformer au sous-alinéa 20(1)c)(iii) des Règles.

III.  Analyse

[19]  Tel que l’a souligné avec justesse le Commissaire, le paragraphe 21.6(1) de la Loi prévoit la possibilité pleine et entière pour les parties de prendre part à toute procédure, et l’exercice de cette possibilité dépend notamment de l’assurance que les parties obtiendront la divulgation des renseignements pertinents avant l’instruction de l’affaire. Cet exercice est important et il permet à chacune des parties de connaitre la preuve qu’elle doit réfuter et ainsi, de se préparer adéquatement pour l’audience (Turner c Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TCDP 9 [Turner]).

[20]  La requête de Me Agnaou s’inscrit dans ce processus de divulgation préalable de documents pertinents prévu à l’article 20 des Règles, qui détaille ce qui doit être inclus dans l’exposé des précisions que toute partie doit déposer en vertu de l’article 19 des mêmes Règles.

[21]  Ainsi, à l’égard des documents pertinents aux questions en litige et qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie, l’alinéa 20(1)c) des Règles prévoit que l’exposé des précisions doit contenir (i) les documents que la partie a l’intention de produire durant l’instruction de l’affaire; (ii) une liste et une description des documents à l’égard desquels elle revendique un privilège de non-divulgation; et (iii) une liste et une description de tout autre document non visé aux sous-alinéas (i) et (ii).

[22]  Par ailleurs, à l’égard des documents pertinents aux questions en litige qui ne sont plus en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie, l’alinéa 20(1)e) des Règles prévoit que l’exposé des précisions doit contenir (i) une liste et une description de ces documents; et (ii) pour chacun de ces documents, un énoncé expliquant comment il a cessé d’être en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde et indiquant, au mieux de ses connaissances, où il se trouve actuellement.

[23]  Ainsi, Me Agnaou allègue que les autres parties ont fait défaut de divulguer des documents pertinents dans leurs exposés des précisions.

[24]  Il importe d’abord de confirmer que la Cour Suprême du Canada a déterminé que la norme de communication de l’arrêt Stinchcombe ne s’applique pas dans le contexte administratif (May c. Établissement Ferndale, 2005 CSC 82). Le Tribunal a d’ailleurs confirmé que « même si l’instance du Tribunal est de nature judiciaire, elle ne relève pas du droit criminel » (El-Helou au para 54). Le Tribunal n’interprètera donc pas l’obligation de communication prévu à l’article 20 des Règles à l’aune des exigences de divulgation de la preuve développées en matière criminelle.

[25]  Ensuite, il importe de préciser que la communication préalable de documents entre les parties ne constitue pas un processus nouveau, et il semble approprié pour le Tribunal de s’inspirer de la jurisprudence développée devant d’autres instances afin de trancher la présente requête. À cet égard, la Cour d’appel fédérale a souligné que, le processus adopté par le législateur pour traiter des plaintes en matière de représailles « est similaire à celui prévu dans la LCDP » (Agnaou au para 62). Il parait donc particulièrement justifié pour le Tribunal de s’inspirer de la jurisprudence développée en lien avec la LCDP.

[26]  Ainsi, la communication demandée (1) doit être pertinente à l’enjeu en litige, ce qui est d’ailleurs spécifiquement prévu dans le texte de l’article 20 des Règles; et (2) ne doit pas être vague ou équivaloir à une partie de pêche et les documents demandés doivent conséquemment être décrits de manière suffisamment précise (Turner au para 25).

[27]  Les demandes de Me Agnaou ne répondent malheureusement pas à ces exigences.

[28]  Le premier des critères, la pertinence, est une notion qui a été maintes fois examinée. M. Ducharme, au paragraphe 794 de son Précis de la preuve, 6e éd, Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, indique que « [d]e façon générale, il est possible d’affirmer qu’il suffit qu’un fait présente un lien logique avec l’objet du litige et les questions incidentes qu’il soulève pour satisfaire au critère de la pertinence ». En ce qui a trait au paragraphe 223(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, dans lequel le critère permettant de déterminer les documents exigibles d’une partie est celui de la pertinence, tout comme dans l’article 20 des Règles, la Cour fédérale énonce qu’ « [u]n document est pertinent s’il permet, directement ou indirectement, à une partie de plaider sa propre cause ou de nuire à son adversaire, ou qu’il est susceptible de mener au « lancement d’une enquête » qui peut conduire à l’une des conséquences exposées ci‑dessus » (Khadr c Canada, 2010 FC 564 au para 9).

[29]  Dans Cloutier c La Reine, [1979] 2 RCS 709, la Cour suprême a défini le terme « pertinent » comme suit :

[TRADUCTION] La première exigence à laquelle doit satisfaire chaque élément de preuve est la pertinence. Ce qui est pertinent (soit, ce qui tend à établir ou à réfuter un point en litige) est question de logique et d’expérience humaine et les faits peuvent être établis par une preuve directe ou indirecte. Mais, bien qu’aucune preuve non pertinente ne doive être présentée, certaines preuves qui sont pertinentes selon les critères normaux de la logique ne peuvent être présentées parce qu’elles sont exclues par les règles de la preuve. Ces preuves sont inadmissi­bles. Une preuve est donc admissible lorsqu’elle est (1) pertinente et (2) non exclue par une règle de droit ou de pratique.

Pour qu’un fait soit pertinent à un autre, il faut qu’il existe entre les deux un lien ou une connexité qui permette d’inférer l’existence de l’un à raison de l’existence de l’autre. Un fait n’est pas pertinent à un autre s’il n’a pas par rapport à celui-ci une valeur probante véritable (Cross, On Evidence, 4 éd., à la p. 16). [Notre souligné].

[30]  À ce stade, le fardeau imposé à la personne demandant le document ne devrait pas être onéreux, mais il doit néanmoins exister un lien rationnel entre les documents demandés et le litige (voir aussi Turner au para 25).

[31]  Une fois établie la notion de pertinence, force est de constater qu’il est difficile pour le Tribunal de l’appliquer dans le cas en l’instance puisque Me Agnaou n’a pas décrit les documents dont il vise la divulgation. Il a plutôt décrit des catégories de documents, ce qui pose un obstacle auquel je reviendrai un peu plus loin.

[32]  Ceci étant dit, le Tribunal est néanmoins en mesure de déterminer que la première catégorie de communications demandés par le plaignant, c’est-à-dire, celles visant des documents qui se rapportent à la décision de ne pas intenter de poursuite dans le dossier A, ne sont pas pertinents au présent litige dans la mesure où ils visent à établir que les intimés ont commis un acte répréhensible, puisque le Tribunal n’est pas saisi de cette question.

[33]  En effet, selon l’Avis de demande d’instruction de la part du Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada au Tribunal, le Tribunal est notamment chargé de déterminer si des représailles ont été prises contre le plaignant. Or, pour ce faire, le Tribunal devra déterminer, selon la preuve qui lui aura été présentée, (1) si une divulgation protégée, telle que définie à la Loi, a été faite par le plaignant; (2) si des mesures, telles que définies par la Loi, ont été prises à son endroit; et (3) s’il existe un lien entre la divulgation protégée et ces mesures, constituant des représailles telles que définies à la Loi.

[34]  Or, dans le cadre de cette détermination, le Tribunal n’a pas à se prononcer sur le caractère répréhensible ou non de l’acte qui aurait été divulgué, ceci afin de protéger les fonctionnaires qui croient de bonne foi qu’un acte répréhensible a été commis (Agnaou au para 72). Les documents liés à cet aspect ne sont conséquemment pas pertinents en l’instance.

[35]  Quant au deuxième critère, le Tribunal constate que la demande de Me Agnaou a toutes les allures d’une chasse à l’aveuglette (fishing expedition). En effet, Me Agnaou ne détaille ni ne liste les documents dont il sollicite la divulgation; il se limite à énoncer des catégories de documents et il ne donne aucun détail permettant de conclure à l’existence même de documents. Me Agnaou indique qu’il peut être « inféré » des pièces au dossier qu’il y a « nécessairement » d’autres communications non divulguées.

[36]  La Cour d’appel fédérale a traité de la « chasse à l’aveuglette » bien que dans le contexte d’un interrogatoire au préalable dans Grand River Enterprises Six Nations Ltd c R, 2011 CAF 121. Elle a alors repris la description qu’elle en avait faite quelques années plus tôt dans Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Ltd, 2008 CAF 287, soit qu’il « ne suffit pas de dire qu'un document pourrait éventuellement mener à d'autres documents qui, bien que non pertinents eux-mêmes, pourraient ensuite éventuellement mener à des renseignements utilisables. C'est précisément le genre de recherche à l'aveuglette que la jurisprudence de la Cour a constamment refusé de sanctionner ».

[37]  Dans Eli Lilly Canada, supra, la protonotaire avait indiqué qu’il incombait à Novopharm d’établir que les documents existaient et étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Lilly, étaient pertinents et n’avaient pas été indiqués dans les affidavits de documents de Lilly ni produits par la suite en réponse à une demande de production que les parties devaient se faire l’une à l’autre selon une ordonnance antérieure de fixation de l’échéancier.

[38]   En dernier lieu, la décision dans Contour Optik Inc. c. Viva Canada Inc., 2005 CF 1687, où il s’agissait également d’un appel d’une décision d’un protonotaire quant à une demande de divulgation supplémentaire, le juge de Montigny avait fait allusion à l’obligation d’une partie d’établir l’existence des documents demandés.  Il avait indiqué au para. 40 :

 

Les défenderesses voudraient que la Cour relève les demanderesses de toute obligation de confidentialité qu'elles pourraient avoir à l'égard de tous les documents et renseignements relatifs à toute instance introduite au Canada, aux États-Unis ou ailleurs touchant le brevet canadien délivré 714, le brevet américain délivré 545 ou tout autre brevet concernant des articles de lunetterie aimantés. Cela enfreindrait manifestement la règle de l'engagement implicite, non seulement du fait de l'étendue de la communication demandée, mais aussi parce que l'existence même des documents considérés est dans le meilleur des cas hypothétique et que leur utilité et leur pertinence n'ont pas été démontrées de manière satisfaisante.

[39]  Ainsi, les documents demandés doivent être identifiés de façon suffisamment précise afin de ne pas constituer une chasse à l’aveuglette (Canada (Procureur général) c Chad, 2018 CF 556 au para 97; Allen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 486 au para 59; Horizon Pharma PLC v The Minister of Health and the Attorney General of Canada, 2015 CarswellNat 12287 au para 29; Technique d’Usinage Sinlab inc c Biocad Médical inc, 2012 CF 122 au para 17; Harkat (Re), 2009 CF 340 au para 21).

[40]  En l’instance, Me. Agnaou ne décrit pas et n’identifie pas les documents dont il demande la divulgation, il se limite à référer à des catégories de communications. Le Tribunal ne peut conséquemment pas accéder à sa requête et ordonner la divulgation (Turner au para 25).

[41]  Pour ces motifs, la requête est rejetée.

 

FAIT à Ottawa ce 13ième jour de novembre 2018.

 

  SIGNÉE au nom du Tribunal pour la présidente.

 

 

 

 

  _________________________

  L’honorable Martine St-Louis


 

ANNEXE

 

 

Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (LC 2005, ch 46)

 

Public Servants Disclosure Protection Act (SC 2005, c 46)

Droits des parties

 

21.6 (1) Dans le cadre de toute procédure, il est donné aux parties la possibilité pleine et entière d’y prendre part et de se faire représenter à cette fin par un conseiller juridique ou par toute autre personne, et notamment de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

 

Rights of parties

 

21.6 (1) Every party must be given a full and ample opportunity to participate at any proceedings before the Tribunal — including, but not limited to, by appearing at any hearing, by presenting evidence and by making representations — and to be assisted or represented by counsel, or by any person, for that purpose.

 

Règles de pratique du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (DORS/2011-170)

 

Public Servants Disclosure Protection Tribunal Rules of Procedure (SOR/2011-170)

Avis de requête

 

17 Les requêtes écrites sont présentées au moyen du dépôt d’un avis de requête qui, à la fois :

 

a) indique le redressement demandé par la partie et les motifs invoqués à l’appui de la requête;

 

b) précise, le cas échéant, lesquelles des autres parties consentent au redressement demandé.

Notice of motion

 

17 A written motion is made by filing a notice of motion that

 

 

(a) sets out the relief requested by the party and the grounds for the motion; and

 

 

(b) indicates which other parties, if any, have consented to the relief requested.

 

Exposé pour chaque demande

 

19 Toute partie dépose un exposé des précisions à l’égard de chacune des demandes du commissaire suivantes :

 

a) la demande visant à décider si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant et visant à ordonner la prise de mesures de réparation en vertu des alinéas 20.4(1)a) ou b) de la Loi;

 

b) si le Tribunal a décidé que des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant, la demande visant à ordonner la prise de sanctions disciplinaires en vertu de l’alinéa 20.4(1)b) de la Loi.

 

Statement for each application

 

19 A party must file a statement of particulars for each of the following applications made by the Commissioner:

 

(a) an application for a determination of whether or not a reprisal was taken against the complainant and for an order respecting a remedy under paragraph 20.4(1)(a) or (b) of the Act; and

 

(b) if the Tribunal has determined that a reprisal was taken against the complainant, an application for an order respecting disciplinary action under paragraph 20.4(1)(b) of the Act.

Toute partie

 

20 (1) L’exposé des précisions contient les renseignements et documents suivants :

 

a) la position d’une partie sur les questions de droit que soulève la demande et, selon le cas, sur les mesures de réparation ou les sanctions disciplinaires demandées;

 

b) les faits importants qu’elle a l’intention de prouver durant l’instruction de l’affaire;

 

c) à l’égard des documents qui sont pertinents aux questions en litige dans l’affaire et qui sont en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde :

 

(i) les documents qu’elle a l’intention de produire durant l’instruction de l’affaire,

 

(ii) une liste et une description des documents à l’égard desquels elle revendique un privilège de non-divulgation,

 

(iii) une liste et une description de tout autre document non visé aux sous-alinéas (i) et (ii);

 

d) pour chaque document mentionné à la liste prévue au sous-alinéa c)(ii), un exposé des motifs de la revendication;

 

e) à l’égard des documents qui sont pertinents aux questions en litige dans l’affaire mais qui ne sont plus en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde :

 

(i) une liste et une description de ces documents,

 

(ii) pour chacun de ces documents, un énoncé expliquant comment il a cessé d’être en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde et indiquant, au mieux de ses connaissances, où il se trouve actuellement;

 

f) les noms des témoins, à l’exception des témoins experts, qu’elle a l’intention de produire;

 

g) si elle a l’intention de produire un témoin expert, un exposé des questions qui seront abordées par ce témoin.

All parties

 

20 (1) A statement of particulars must contain the following information and documents:

 

(a) the party’s position regarding the legal issues raised in the application and regarding the remedy or disciplinary action sought, as the case may be;

 

(b) the material facts that the party intends to prove in the proceedings;

 

(c) regarding documents that are relevant to a matter at issue in the proceedings and that are in the party’s power, possession or control,

 

 

(i) those documents that the party intends to produce in the proceedings,

 

(ii) a list and description of the documents for which the party claims privilege, and

 

 

 

(iii) a list and description of the documents that are not otherwise referred to in subparagraphs (i) and (ii);

 

(d) for each document listed under subparagraph (c)(ii), the grounds for the privilege claimed;

 

(e) regarding documents that are relevant to a matter at issue in the proceedings and that are no longer in the party’s power, possession or control,

 

(i) a list and description of the documents, and

 

(ii) for each document listed, a description of how the party lost power, possession or control of it and, to the best of the party’s knowledge, its current location;

 

 

(f) the names of the witnesses, other than expert witnesses, that the party intends to call; and

 

(g) if the party intends to call an expert witness, a summary of the issues that will be the subject of the witnesses’ testimony.

 

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