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Résumé :

Mots-clés: Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), critère Dagenais/Mentuck, ordonnance de confidentialité, requête interlocutoire, principe de la publicité des débats judiciaires, Loi sur la protection des renseignements personnels (la LPRP), ordonnance de non-publication, commissaire à l'intégrité du secteur public (le commissaire), Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles (la Loi), Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles (le Tribunal).

Contexte: Les défendeurs à titre individuel et les parties intéressées ont présenté deux requêtes visant le maintien d'une ordonnance provisoire de confidentialité. Ils soutenaient que les obligations en matière de confidentialité et de respect de la vie privée s'appliquaient parce que les annexes jointes à la demande mentionnaient diverses allégations faites à l'égard de personnes qui, de l'avis du commissaire, n'avaient pas commis d'acte répréhensible et des allégations qui dépassaient la compétence du commissaire. Ils ont souligné qu'une seule des allégations de représailles faites dans la plainte initiale avait été renvoyée au Tribunal. Ils ont aussi soutenu que les renseignements en question constituaient des renseignements personnels. Selon eux, le Tribunal et le Commissariat à l'intégrité du secteur public, en tant qu'institutions fédérales, étaient donc obligés de respecter les exigences en matière de renseignements personnels qui sont prévues à la LPRP. Ils ont aussi affirmé que le Tribunal devait appliquer le critère Dagenais/Mentuck pour limiter le principe de la publicité des débats judiciaires. L'employeur a appuyé la requête. Le commissaire ne s'est pas opposé à la requête, mais il a présenté certaines observations. Le plaignant s'est opposé à la requête et il a soutenu que les parties requérantes n'avaient pas présenté des éléments de preuve suffisants pour justifier la limitation du principe de la publicité des débats judiciaires, qui est protégé par la Charte.

Motifs: Le Tribunal a cité un arrêt qui confirmait de nouveau que le principe de la publicité des débats judiciaires s'applique aux actes de procédure et aux éléments de preuve. Le Tribunal a conclu qu'il est assujetti au principe de la publicité des débats judiciaires parce que ses instances sont de nature quasi judiciaire. Le Tribunal a aussi noté que le libellé de la Loi ne restreint pas l'application du principe de la publicité des débats judiciaires à ses instances. Le Tribunal a dit que les renseignements en cause avaient été obtenus par le commissaire afin de remplir le rôle que lui donne la Loi – enquêter sur les plaintes –, puis que ces renseignements avaient été communiqués au Tribunal. Cette communication était conforme avec les fins auxquelles les renseignements avaient été obtenus, et donc conforme à la LPRP. Le Tribunal a aussi affirmé que les objectifs de la LPRP doivent être mis en balance avec d'autres valeurs, et qu'ils ne doivent pas supplanter l'objectif légal du Tribunal. Après avoir noté que des principes constitutionnels sous-tendent le principe de la publicité des débats judiciaires, le Tribunal a affirmé que, lorsqu'il exerce ses fonctions quasi judiciaires, les renseignements qu'il reçoit ne sont pas visés par la LPRP. Le Tribunal a adapté le critère Dagenais/Mentuck, puis il a conclu que ce critère ne s'appliquait pas en l'espèce. Il a jugé que les arguments des parties requérantes quant au préjudice potentiel qu'auraient pu subir leurs réputations étaient de simples conjectures. Le Tribunal a jugé que les éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour lui permettre de conclure que la communication des renseignements figurant dans la plainte représentait un risque sérieux. Le Tribunal a aussi conclu que les arguments des parties requérantes étaient prématurés. Finalement, il a aussi conclu que les éléments de preuve qui ont trait à des allégations que le commissaire n'a pas renvoyées au Tribunal peuvent néanmoins être pertinents à l'égard de l'instance portant sur la demande.

Contenu de la décision

Public Servants
 Disclosure Protection
 Tribunal Canada

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Tribunal de la protection
des fonctionnaires
divulgateurs du Canada

Référence: El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2012 TPFD 1

Dossier : T-2011-01

Rendue à : Ottawa (Ontario)

Le 8 février 2012

Affaire concernant une demande du commissaire à l’intégrité du secteur public présentée au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs Canada

ENTRE :

CHARBEL EL-HELOU

plaignant

-et-

LE COMMISSARIAT À L’INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

commissaire

et

LE SERVICE ADMINISTRATIF DES TRIBUNAUX JUDICIAIRES

employeur

et

DAVID POWER

défendeur à titre individuel

et

ÉRIC DELAGE

défendeur à titre individuel

DÉCISION VISANT DEUX REQUÊTES EN MAINTIEN D’UNE ORDONNANCE PROVISOIRE DE CONFIDENTIALITÉ

[1]  La présente décision tranche deux requêtes présentées par les deux défendeurs à titre individuel et trois parties intéressées. Les deux requêtes visent le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité rendue par le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (le Tribunal) le 10 juin 2011.

[2]  Le maintien de cette ordonnance de confidentialité est demandé relativement à l’audition d’une demande présentée au Tribunal par le commissaire à l’intégrité du secteur public (le commissaire) en vertu de l’article 20.4 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, ch 46 (la Loi).

[3]  Les défendeurs à titre individuel sont David Power et Éric Delage. Les parties intéressées sont Laurent Francœur, Eric Cloutier et Francine Côté. Pour ces deux requêtes, les parties requérantes sont les défendeurs à titre individuel et les parties intéressées. Dans leurs requêtes, déposées le 15 juillet 2011, les parties requérantes demandent au Tribunal de maintenir l’ordonnance provisoire de confidentialité datée du 10 juin 2011.

[4]  Le 12 août 2011, l’employeur a affirmé qu’il appuie les requêtes visant le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité. Le même jour, le commissaire a dit qu’il ne s’oppose pas à ces requêtes, sous réserve de certains commentaires.

[5]  Dans sa réponse, datée du 12 août 2011, le plaignant a dit qu’il s’oppose aux requêtes.

  I.  CONTEXTE

[6]  Le plaignant a déposé sa plainte initiale, datée du 3 et du 9 juillet 2009, auprès du Commissariat à l’intégrité du secteur public (le Commissariat). Dans sa plainte, il a fait quatre allégations de représailles : la tentative d’obtenir des commentaires négatifs auprès de ses subordonnés, la modification de ses responsabilités professionnelles au moyen d’une mutation temporaire, la garde en suspens de sa cote de sécurité ainsi que du harcèlement. Après le début de l’enquête, l’enquêteuse du Commissariat a écarté l’allégation de harcèlement, avec le consentement du plaignant.

[7]  Le Commissariat a décidé de se pencher sur la plainte. L’enquêteuse principale a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’une seule des allégations de représailles était fondée : la garde en suspens de la cote de sécurité « Très secret » du plaignant. Le Commissaire a accepté les conclusions et les recommandations formulées par l’enquêteuse principale dans son rapport daté du 14 avril 2011.

[8]  Le 16 mai 2011, le commissaire a présenté une demande au Tribunal (la demande) afin que ce dernier décide si des représailles avaient été exercées à l’encontre du plaignant. Dans la demande, le commissaire a conclu qu’il y avait des motifs justifiant de donner suite à seulement une des trois allégations qui avaient fait l’objet de l’enquête. La demande prévoyait aussi que, si le Tribunal concluait que des représailles avaient été exercées contre le plaignant, le commissaire avait l’intention de demander au Tribunal d’ordonner la prise de mesures de réparation en faveur du plaignant et d’ordonner la prise de sanctions disciplinaires contre la ou les personnes qui auraient exercé les représailles.

La requête du commissaire visant une ordonnance provisoire de confidentialité

[9]  La requête initiale visant l’obtention d’une ordonnance provisoire de confidentialité avait été présentée par le commissaire et non par les parties requérantes en l’espèce (c’est-à-dire les défendeurs à titre individuel et les parties intéressées). Le jour où le commissaire a présenté la demande, il a aussi présenté un avis de requête pour une ordonnance de confidentialité visant certains éléments de la demande, à savoir les annexes A et B. Ces annexes renferment des documents fournis au Commissariat par le plaignant relativement à la plainte de représailles, notamment des allégations qui n’ont pas été reprises dans la demande. Elles contiennent des allégations faites à l’égard de personnes qui, de l’avis du commissaire, n’ont pas commis d’acte répréhensible. En outre, ces annexes font état d’une enquête de sécurité menée par l’employeur au sujet de menaces qui avaient été formulées à l’encontre d’un membre de la magistrature. Dans sa requête d’ordonnance de confidentialité, le commissaire a demandé que ces deux annexes de la demande soient déposées sous pli scellé et que la mention « confidentiel » y soit indiquée.

[10]  Le 1er juin 2011, Laurent Francœur, Francine Côté et Eric Cloutier ont présenté un avis de requête visant à obtenir le statut de parties intéressées relativement à la requête d’ordonnance de confidentialité présentée par le commissaire. Ces trois personnes étaient mentionnées dans les annexes en question, mais, dans sa demande, le commissaire n’a pas conclu qu’elles avaient eu une conduite répréhensible.

[11]  Le 2 juin 2011, les défendeurs à titre individuel ont répondu à la requête du commissaire et ont demandé que le troisième paragraphe du projet d’ordonnance soit reformulé. (Selon ce paragraphe, l’ordonnance n’aurait aucunement modifié les droits du plaignant, car ce dernier était l’auteur des documents originaux.)

[12]  Le 6 juin 2011, le plaignant a répondu à la requête d’ordonnance de confidentialité du commissaire en s’y opposant. Selon le plaignant, une ordonnance de confidentialité globale n’était pas justifiée. Cependant, il ne s’opposait pas à une ordonnance qui aurait protégé la confidentialité du nom du membre de la magistrature en question, et il a soutenu que la façon la plus efficace de le faire était de caviarder les documents déjà déposés en l’instance ainsi que tout nouveau document. Par contre, le plaignant soutenait que l’ordonnance de confidentialité demandée avait une portée trop étendue.

La requête du commissaire visant une ordonnance de non-publication

[13]  Le 6 juin 2011, le commissaire a déposé son exposé des précisions ainsi qu’un deuxième avis de requête, lequel portait cette fois sur l’obtention d’une ordonnance de non-publication visant tout renseignement qui permettrait d’identifier le membre de la magistrature ou la ou les personnes soupçonnées ou accusées d’avoir formulé des menaces à l’encontre du membre de la magistrature. Le commissaire a précisé que la requête visant une ordonnance de non-publication était une nouvelle requête, et qu’elle ne remplaçait pas la requête visant une ordonnance de confidentialité qu’il avait déjà présentée.

Les ordonnances rendues par le Tribunal avant les requêtes en cause

[14]  Le 10 juin 2011, le Tribunal a accordé le statut de partie intéressée à Francine Côté, à Laurent Francœur et à Eric Cloutier relativement à la requête visant une ordonnance provisoire de confidentialité. Le Tribunal a aussi prononcé une ordonnance provisoire de non-publication relativement à tout renseignement qui permettrait d’identifier le membre de la magistrature ou la ou les personnes soupçonnées ou accusées d’avoir formulé les menaces.

[15]  Le 10 juin 2011, le Tribunal a aussi rendu l’ordonnance provisoire de confidentialité suivante. Comme il est expliqué dans la prochaine section des présentes, en l’espèce, les parties requérantes demandent le maintien des modalités de cette ordonnance. L’ordonnance provisoire de confidentialité est ainsi rédigée:

  • 1) tous les documents désignés comme étant les annexes A et B de l’avis de demande du commissaire, qui est daté du 18 avril 2011 et a été déposé auprès du Tribunal le 17 mai 2011, seront conservés sous pli scellé et exclus des dossiers publics, et ne seront communiqués à personne, à l’exception des membres et du personnel du Tribunal ainsi que des parties et de leurs avocats, jusqu’à ce que le Tribunal tranche la requête du commissaire ou rende une ordonnance contraire;

  • 2) le Tribunal pourra, de son propre chef ou sur requête, annuler ou modifier la présente ordonnance provisoire en tout temps et pour un motif valable.

Les requêtes des parties requérantes visant le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité

[16]  Le 4 juillet 2011, le Commissariat a avisé les parties à la présente affaire qu’il avait l’intention de retirer sa requête visant une ordonnance de confidentialité lors de l’audience portant sur la compétence du Tribunal, qui était programmée le 31 août 2011. Par la suite, les défendeurs à titre individuel ont déposé un avis de requête visant le maintien des modalités de cette ordonnance, datée du 10 juin 2011. M. Francœur, Mme Côté et M. Cloutier, c’est‑à‑dire les parties intéressées à l’égard de la requête du commissaire visant une ordonnance provisoire de confidentialité, ont eux aussi présenté une requête visant le maintien des modalités de cette ordonnance.

[17]  Le commissaire a affirmé qu’il ne s’oppose pas aux requêtes des parties intéressées, mais il a présenté certaines observations à ce sujet. L’employeur a dit qu’il consent aux requêtes visant le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité. Il a aussi dit qu’il consent à la requête du commissaire visant le maintien de l’ordonnance de non-publication.

[18]  Le plaignant s’est opposé aux requêtes visant le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité. Il a soutenu que les parties requérantes n’ont pas présenté des éléments de preuve suffisants pour démontrer la nécessité de ce maintien et qu’elles n’ont pas justifié cette limitation du principe de la publicité des débats judiciaires, qui est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, ch 11.

L’ordonnance de non-publication et l’ordonnance accordant le statut de partie intéressée rendues par le Tribunal

[19]  Le 23 août 2011, le Tribunal a aussi rendu une ordonnance accordant le statut de partie intéressée à Laurent Francœur, à Eric Cloutier et à Francine Côté relativement à la requête visant le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité.

[20]  Bien que les requêtes en cause ne portent pas là-dessus, il convient de souligner que le Tribunal a rendu une ordonnance de non-publication de 23 août 2011 et que cette ordonnance est encore en vigueur. Cette ordonnance de non-publication vise tous les documents portant sur le membre de la magistrature en question et sur la personne soupçonnée d’avoir formulé des menaces à son endroit.

  II.  ARGUMENTS DES PARTIES

[21]  Les parties requérantes invoquent l’alinéa 5c) de la version provisoire de Règles du Tribunal, qui est devenue l’alinéa 5c) des Règles de pratique du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, DORS/2011-170 (les Règles). Cette disposition prévoit que la plainte initiale doit être jointe à la demande.

[22]  Les parties requérantes affirment que la plainte porte sur des allégations d’actes répréhensibles qui dépassent la compétence du Commissariat en matière d’enquête, sur de nombreuses allégations de représailles qui auraient été exercées par diverses personnes et sur une multitude de documents que le plaignant estimait pertinents à l’égard de sa plainte. Elles soulignent qu’une seule des allégations de représailles a été renvoyée au Tribunal.

[23]  Les parties requérantes soutiennent que des obligations en matière de confidentialité et de respect de la vie privée s’appliquent en l’espèce, car les annexes A et B de la demande mettent en cause la conduite des parties intéressées et des deux défendeurs à titre individuel. En outre, les parties requérantes avancent que les renseignements donnés dans la plainte sont des renseignements personnels, car il s’agit de renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment les idées ou opinions d’autrui sur l’individu identifiable. Elles soutiennent donc que le Tribunal doit respecter les exigences légales en matière de renseignements personnels et que l’ordonnance de confidentialité est nécessaire. Les parties requérantes affirment que, en tant qu’institutions fédérales, le greffe du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles et le Commissariat sont assujettis à la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC, 1985, ch P-21 (la LPRP).

[24]  Les parties requérantes mentionnent l’article 8 de la LPRP, qui prévoit que les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent, que conformément aux exceptions énumérées dans cette disposition. Elles soutiennent que les exceptions prévues à la LPRP ne s’appliquent pas en l’espèce. Par exemple, elles affirment que la communication par le Commissariat ou le Tribunal de renseignements personnels inclus dans la plainte et concernant des allégations non fondées ne pourrait pas être considérée comme une communication aux fins auxquelles ces renseignements avaient été recueillis. De plus, elles se fondent sur l’alinéa 8(2)m) de la LPRP pour avancer qu’aucune raison d’intérêt public ne justifierait nettement la violation de la vie privée qui résulterait de la communication des renseignements personnels qui apparaissent dans les annexes A et B.

[25]  Les parties requérantes affirment que les renseignements personnels en question ne sont pas pertinents et n’auraient qu’une utilité limitée s’ils étaient rendus publics par le Tribunal. Elles soulignent aussi qu’elles sont des fonctionnaires de carrière et que la communication des idées ou des opinions du plaignant à leur sujet pourrait avoir des conséquences négatives indéterminables sur leurs réputations.

[26]  Subsidiairement, les parties requérantes soutiennent que, même si la LPRP n’exigeait pas le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité, des limites bien établies au principe de la publicité des débats judiciaires s’appliquent en l’espèce et que les effets bénéfiques de l’ordonnance de confidentialité l’emportent sur ses effets préjudiciables (Dagenais c Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835 (l’arrêt Dagenais); R c Mentuck, [2001] 3 RCS 442 (l’arrêt Mentuck); Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 RCS 522 (l’arrêt Sierra Club)).

[27]  Les parties requérantes affirment qu’un intérêt important est exposé à un risque sérieux, car les réputations personnelles et professionnelles des parties intéressées pourraient être entachées. Selon elles, l’obligation qu’a le commissaire, en application des Règles, de fournir une copie de la plainte doit être interprétée dans le contexte de l’engagement de protéger la confidentialité, autant que possible, pour toutes les personnes touchées par le processus de divulgation.

[28]  Les parties requérantes soutiennent que la confidentialité représente un élément clé de la Loi. Elles mentionnent l’alinéa 22e) de la Loi, qui exige que le commissaire veille à ce que l’identité des personnes mises en cause par une divulgation ou une enquête soit protégée, notamment celle du divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé de l’acte répréhensible. Elles relèvent aussi l’article 44 de la Loi, qui prévoit que le commissaire et toutes les personnes agissant en son nom sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la Loi.

[29]  Les parties requérantes soutiennent que l’ordonnance en cause a une portée restreinte et qu’il n’existe aucune solution de rechange raisonnable. Par exemple, elles disent que la radiation des renseignements visés ne serait pas pratique et ne permettrait pas d’obtenir une version caviardée et lisible du document en cause. Selon elles, l’ordonnance demandée porte seulement sur des allégations du plaignant que le commissaire a jugé non fondées et qui ne sont pas pertinentes à l’égard de l’instance du Tribunal. Les parties requérantes ont déposé plusieurs documents sous forme d’affidavit à l’appui de leur requête.

[30]  Le plaignant s’oppose aux  requêtes. Bien qu’il dise ne pas être opposé, en principe, à la prise de mesures visant à protéger certains renseignements confidentiels, le plaignant soutient qu’il doit être démontré que de telles mesures sont nécessaires et que leurs avantages l’emportent sur leurs inconvénients. Le plaignant affirme que, en l’espèce, les parties intéressées n’ont pas présenté des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ordonnance demandée.

[31]  Le plaignant affirme que l’ordonnance constituerait un empiétement majeur sur l’intérêt du public et des parties, et qu’elle ne devrait pas l’emporter sur l’intérêt public important en matière de publicité des débats judiciaires. Il avance que, en se fondant sur des préoccupations relatives à leurs réputations personnelles et professionnelles et à leurs perspectives de carrière, les parties requérantes font des conjectures.

[32]  Le plaignant affirme aussi que la Loi a été adoptée dans le but exprès de favoriser la transparence et de renforcer l’intérêt public de maintenir et d’accroître la confiance du public dans l’intégrité du secteur public. Il mentionne le préambule de la Loi, selon lequel la Loi vise à protéger l’intérêt public et à jouer un rôle clé dans la protection et la promotion de la démocratie parlementaire canadienne, en encourageant les employés à divulguer les actes répréhensibles et en décourageant les procédés qui pourraient autrement servir à camoufler les actes répréhensibles ou à empêcher leur divulgation.

[33]  Le plaignant s’oppose à une interdiction générale de communiquer les renseignements, la qualifiant [traduction] d’« instrument grossier et exceptionnel », qui doit seulement être utilisé dans les cas les plus patents. Il mentionne le principe de la publicité des débats judiciaires et le critère qui doit être appliqué pour décider s’il faut limiter cet aspect fondamental du système de justice (voir les arrêts Mentuck; Sierra Club; Singer c Canada (Procureur général), 2011 CAF 3 (l’arrêt Singer); et Personne désignée c Vancouver Sun, [2007] 3 RCS 253 (l’arrêt Personne désignée). Le plaignant soutient que les tribunaux ont conclu à maintes reprises qu’ils n’ordonneront pas la confidentialité d’une instance sur la seule foi d’une simple affirmation selon laquelle cette protection est nécessaire. Le fardeau qui pèse sur la partie qui demande une ordonnance de confidentialité est très lourd, et une preuve doit être présentée démontrant la nécessité d’une telle ordonnance (voir les décisions Rivard Instruments Inc c Ideal Instruments Inc, 2006 CF 1338 (la décision Rivard); et Canada (Procureur général) c Almalki, 2010 CF 733 (la décision Almalki)). Le plaignant a aussi invoqué les décisions Doe c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 117 (la décision Doe 2003), et Doe c Canada (Ministère de la Justice), 2008 CF 916 (la décision Doe 2008), pour soutenir que, en l’espèce, les éléments de preuve présentés sont insuffisants pour justifier une ordonnance de confidentialité.

[34]  Le plaignant rejette l’argument selon lequel la diffusion publique des renseignements en cause pourrait nuire à une enquête et la publication des allégations du plaignant entacherait fort probablement des réputations personnelles et professionnelles. Il mentionne aussi l’arrêt Mentuck, dans lequel la Cour suprême du Canada a mis l’accent sur le fait que c’est justement parce que la présomption voulant que les procédures judiciaires soient publiques et que leur diffusion ne soit pas censurée est si forte et si valorisée dans notre société que le juge doit disposer d’une preuve convaincante pour ordonner une interdiction.

[35]  Le plaignant souligne aussi que, dans l’arrêt Mentuck, la Cour suprême devait soupeser l’argument selon lequel des aspects précis d’une opération policière secrète auraient pu être révélés lors du procès. Dans cette affaire, qui était beaucoup plus grave que la présente selon le plaignant, l’ordonnance de non-publication n’a pas été accordée. Toujours dans l’arrêt Mentuck, la Cour suprême a noté que, dans les affidavits produits par la Couronne, cette dernière n’avait pu citer avec certitude qu’un cas où une ordonnance de non-publication avait eu une conséquence négative.

[36]  Le plaignant répète que le Tribunal est censé se pencher sur les cas où des personnes sont victimes de représailles après avoir divulgué des actes répréhensibles dans le secteur public. Il soutient que les questions soulevées dans les affaires visées par la Loi ont la plus haute importance publique. Il affirme que le résultat ne doit pas seulement être bel et bien équitable et approprié, mais aussi paraître équitable et approprié.

[37]  Le plaignant insiste pour dire que, dans les faits, les deux documents que les parties intéressées cherchent à tenir secrets constituent sa plainte de représailles. Il avance que ces documents sont analogues à une déclaration, à un avis de requête ou à tout autre type de demande introductive d’instance qui établit l’essence du litige. Le plaignant mentionne l’arrêt Mentuck, qui portait sur une affaire en droit criminel, et soutient que l’intérêt public à l’égard de la nature et de l’issue de la présente affaire est le même.

[38]  Le plaignant affirme que le genre d’ordonnance visé est tout à fait inhabituel et extraordinaire, et il souligne que des personnes faisant l’objet d’allégations sont couramment nommées dans de nombreuses instances, même lorsque les allégations sont rejetées au final. Selon le plaignant, il est faux de dire que les allégations du plaignant qui ont été jugées non fondées par le commissaire n’ont aucune pertinence à l’égard de l’instance du Tribunal. Les éléments de preuve qui éclairent le contexte peuvent être pertinents et admissibles. En outre, il avance que la position des parties requérantes est prématurée.

[39]  Le plaignant soutient que la LPRP n’oblige pas le Tribunal à abandonner son propre objectif légal, qui consiste à favoriser la transparence afin de protéger l’intérêt public. Il affirme que des exceptions prévues à la LPRP s’appliquent en l’espèce, notamment les alinéas 8(2)a) (l’exception de l’usage compatible), 8(2)b) (conformément à une loi ou à un règlement qui autorise la communication) et 8(2)m) (l’exception de l’intérêt public).

[40]  Le commissaire ne s’oppose pas à la requête présentée par les parties intéressées, mais il a émis certaines réserves quant à son appui. Il souligne qu’il avait déposé une requête visant une ordonnance semblable le 17 mai 2011 et que le Tribunal a rendu cette ordonnance provisoire le 10 juin 2011. Le commissaire affirme que sa préoccupation principale était le risque que des renseignements préjudiciables soient rendus publics sans être mis en contexte et sans égard à la preuve. Dans sa réponse, le commissaire affirme que son exposé des précisions et les éléments de preuve qu’il a communiqués, notamment le rapport d’enquête, donnent davantage de contexte au public et font que les renseignements en cause sont moins susceptibles de causer un préjudice aux personnes touchées.

[41]  Le commissaire mentionne aussi qu’il avait informé le Tribunal et les parties de son intention de retirer sa requête le 4 juillet 2011. Il rappelle l’importance de l’accès du public et des médias au Tribunal. Il se fonde sur l’alinéa 22e) et l’article 44 de la Loi pour dire que des renseignements qui seraient normalement confidentiels peuvent être inclus dans une demande déposée auprès du Tribunal. Toutefois, il dit souscrire généralement à la formulation du critère Dagenais/Mentuck qui a été donnée dans l’avis de requête à l’appui de l’ordonnance de confidentialité.

III.  ANALYSE

Aperçu

[42]  Par les requêtes en cause, les défendeurs à titre individuel et les parties intéressées cherchent à obtenir le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité rendue par le Tribunal. Ils soutiennent que la LPRP a pour effet de limiter la communication des documents désignés comme les annexes A et B. Subsidiairement, ils avancent que le Tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire, conformément aux principes énoncés dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club, afin de limiter le principe de la publicité des débats judiciaires et de permettre le maintien de l’ordonnance.

[43]  Le commissaire et l’employeur appuient tous deux les requêtes présentées par les parties requérantes. Le plaignant s’oppose à ces requêtes. Selon le plaignant, le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique, sous réserve d’exceptions limitées. Il invoque l’objet de la Loi pour étayer son argument selon lequel les éléments de preuve présentés en l’espèce sont insuffisants pour justifier de restreindre ce principe. Le plaignant soutient aussi que les requêtes visant le maintien de l’ordonnance sont fondées sur des conjectures.

[44]  Le principe de la publicité des débats judiciaires est considéré comme une pierre angulaire d’une société démocratique. Néanmoins, il n’est pas absolu. Les ordonnances conservatoires qui limitent la publicité des débats judiciaires peuvent avoir diverses formes : l’ordonnance de confidentialité, l’ordonnance de non-publication, l’ordonnance visant le caviardage ou l’anonymisation d’un acte de procédure ou d’un autre document lié à l’instance judiciaire, l’exigence qu’un document puisse seulement être consulté par les avocats, l’ordonnance de huis clos et le privilège qui protège les indicateurs de police.

[45]  En l’espèce, le Tribunal est saisi de requêtes visant le maintien d’une ordonnance provisoire de confidentialité, requêtes qui, si elles étaient accueillies, auraient aussi pour effet de limiter la transparence de l’instance. Cette question porte sur des intérêts importants. Ci-dessous, pour donner le contexte dans lequel il a décidé de rejeter les requêtes, le Tribunal examine les fondements du principe de la publicité des débats judiciaires eu égard aux instances judiciaires et quasi judiciaires, aux questions délicates soulevées par la diffusion de renseignements personnels dans le domaine public et à la nature de la Loi et du rôle du Tribunal en matière de divulgations et de plaintes de représailles.

Le principe de la publicité des débats judiciaires

[46]  Les tribunaux canadiens ont reconnu à maintes reprises le principe de la publicité des débats judiciaires. Bien avant l’adoption de la Charte, la Cour suprême du Canada avait souligné l’importance de la publicité des débats judiciaires. Le secret des procédures judiciaires est l’exception, et il faut y avoir recours avec prudence. Il faut non seulement que justice soit rendue, mais aussi qu’il soit manifeste qu’elle l’a été. Par conséquent, il existe une présomption selon laquelle les débats judiciaires doivent être publics. (Voir les arrêts Dagenais, Mentuck, Sierra Club, Personne désignée et la décision Almaki ainsi que l’arrêt A.G. (Nova Scotia) c MacIntyre, [1982] 1 RCS 175, qui est mentionné dans la décision Almaki).

[47]  Les tribunaux ne siègent pas dans le secret, comme l’a dit le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada), dans la décision Sulco Industry Ltd c Jim Scharf Holdings Ltd (1997), 69 CPR (3d) 71, p. 73 (la décision Sulco Industry). Les tribunaux doivent faire preuve de retenue lorsqu’on leur demande de rendre des ordonnances qui limiteraient l’accès aux renseignements qui leur sont présentés, bien qu’il y ait certaines exceptions (par exemple, les secrets commerciaux et les autres renseignements confidentiels qui pourraient exiger une ordonnance de mise sous scellé) (voir la décision John Doe 2003, où la décision Sulco Industry est mentionnée au paragraphe 3). Lorsqu’un tribunal ordonne que son instance soit confidentielle de manière injustifiée, l’intégrité du processus judiciaire peut être minée, ce qui revient essentiellement à établir une situation semblable à celle qui existait devant la tristement célèbre Cour de la Chambre étoilée (voir la décision John Doe 2003, aux paragraphes 2 et 3).

[48]  L’une des justifications fondamentales données au principe de la publicité des débats judiciaires est d’encourager la recherche de la vérité. L’interrogatoire des témoins, mené publiquement est [traduction] « plus propice à la découverte de la vérité que l’interrogatoire privé et secret consigné par écrit devant un officier de justice ou son préposé » (Blackstone, Commentaries on the Laws of England (1768), cité au paragraphe 82 de l’arrêt Personne désignée). Comme l’a souligné Wigmore (Wigmore on Evidence, vol. 6 (Chadbourn rev. 1976), § 1834, pp. 435-436, cité au paragraphe 82 de l’arrêt Personne désignée), le principe de la publicité des débats judiciaires a pour effet général d’améliorer la qualité des témoignages. Elle suscite [traduction] « dans l’esprit du témoin une incitation à ne pas mentir; d’abord, en stimulant le sens instinctif de sa responsabilité envers l’opinion publique, symbolisée par l’auditoire... » En outre, objectivement, [traduction] « elle assure la présence de personnes susceptibles de témoigner ou de contredire les témoignages erronés et dont les parties pouvaient ne pas savoir à l’avance qu’ils possédaient des renseignements ».

[49]  Les éléments de preuve, y compris le témoignage des témoins désignés, jouent un rôle important dans l’instance, tout comme les documents qui étayent les témoignages. En règle générale, dans les instances judiciaires et quasi judiciaires, les témoins et les parties sont identifiés. Cela atteste le caractère solennel et l’importance du processus décisionnel judiciaire visant à découvrir la vérité, et favorise la transparence et la responsabilité des instances.

L’application du principe de la publicité des débats judiciaires aux actes de procédure

[50]  Le principe de la publicité des débats judiciaires ne s’applique pas seulement aux instances judiciaires, mais aussi aux actes de procédure déposés dans ces instances. Dans l’arrêt Singer, la Cour d’appel fédérale a confirmé de nouveau que ce principe s’applique aux actes de procédure et aux éléments de preuve. Dans l’affaire Singer, la Cour d’appel fédérale s’est penchée sur une ordonnance de confidentialité qui avait des effets inutiles et démesurés sur l’instance. L’appelante soutenait que son numéro d’assurance sociale – qui avait été inscrit dans des affidavits – n’était pas pertinent à l’égard des questions soulevées dans l’instance. La Cour fédérale avait ordonné que les affidavits de l’intimé soient mis sous scellé. La Cour d’appel fédérale a annulé cette ordonnance parce qu’elle avait une portée excessive. Elle a affirmé que la publicité des débats judiciaires est un des principes fondamentaux de notre système juridique et qu’il s’applique aux audiences, aux décisions, aux actes de procédure et aux éléments de preuve (paragraphe 6 de l’arrêt Singer). La Cour d’appel fédérale a conclu que, dans cette affaire, d’autres mesures auraient permis d’obtenir le même résultat.

[51]  Ces principes, qui ont été récemment énoncés dans l’arrêt Singer, sont pertinents à l’égard des requêtes en cause. En l’espèce, la demande, les exposés des précisions et les documents à l’appui peuvent être considérés comme les éléments fondamentaux de l’affaire dont le Tribunal est saisi. Ils peuvent donc être considérés comme étant analogues à des actes de procédure, et, par conséquent, comme étant assujettis au principe de la publicité des débats judiciaires.

Le principe de la publicité des débats judiciaires et les médias

[52]  Le rôle essentiel joué par les médias, en tant que représentants du public dans le processus décisionnel judiciaire, sous-tend le principe de la publicité des débats judiciaires. Les médias représentent les membres du public qui ne peuvent pas assister aux audiences (voir l’arrêt Mentuck, au paragraphe 52, et l’arrêt Personne désignée, aux paragraphes 81 à 85, où le juge LeBel, dans des motifs dissidents en partie, a néanmoins décrits des aspects incontestés du principe de la publicité des débats judiciaires). La liberté de la presse de faire rapport sur les instances judiciaires constitue une valeur fondamentale. Il faut aussi se souvenir que le principe de la publicité judiciaire est de nature constitutionnelle. La jurisprudence confirme que ce principe est protégé par la liberté d’expression, qui est garantie par l’alinéa 2b) de la Charte.

La Charte et le critère Dagenais/Mentuck

[53]  Les fondements du principe de la publicité des débats judiciaires sont restés inchangés par l’adoption de la Charte, et ils reposent maintenant sur l’alinéa 2b), qui protège la liberté d’expression. Dans la plupart des cas, la question de savoir si le principe de la publicité des débats judiciaires devrait être limité relève du pouvoir discrétionnaire du décideur. Cette règle comporte seulement quelques exceptions. Par exemple, le privilège de l’indicateur de police jouit d’une protection absolue et n’est pas assujetti au critère discrétionnaire appliqué par les tribunaux (voir l’arrêt Personne désignée). Il peut aussi exister certaines exceptions prévues par la loi. Cependant, en règle générale, les restrictions imposées à la publicité des débats judiciaires relèvent du pouvoir discrétionnaire des tribunaux, pouvoir qui ne doit pas être exercé à la légère.

[54]  Cette approche générale, où le décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire, s’applique aussi aux requêtes en cause. Dans les décisions rendues après l’adoption de la Charte, le critère utilisé pour l’application de ce pouvoir discrétionnaire est souvent appelé le critère Dagenais/Mentuck. Ce critère représente une fusion de deux arrêts de la Cour suprême du Canada qui portaient sur la manière dont un décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire de limiter la publicité des débats judiciaires. L’arrêt Dagenais, rendu en 1994 par la Cour suprême, portait sur une ordonnance de non-publication qui avait été demandée par quatre accusés qui voulaient faire interdire la télédiffusion d’une émission portant sur des agressions physiques et sexuelles commises sur de jeunes garçons. La Cour suprême du Canada s’est alors penchée sur la liberté d’expression et le droit à un procès équitable qui sont prévus à la Charte.

[55]  La Cour suprême a confirmé que c’est la personne qui demande la restriction du principe de la publicité des débats judiciaires qui a le fardeau de justifier cette limitation de la liberté d’expression. Elle a aussi créé un critère permettant de décider s’il est justifié de le faire, critère qui reflétait la Charte et l’essence du « critère Oakes » (énoncé dans l’arrêt R c Oakes, [1986] 1 RCS 103 (l’arrêt Oakes)).

[56]  En 2001, la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Mentuck. Elle y a assoupli le critère qu’elle avait énoncé dans l’arrêt Dagenais. Dans l’affaire Mentuck, l’inculpé était accusé de meurtre au deuxième degré. La Couronne avait demandé une ordonnance de non-publication afin de protéger l’identité de policiers et de tenir secrètes certaines méthodes d’enquête qui avaient été utilisées. La Cour suprême a confirmé le critère énoncé dans l’arrêt Dagenais, mais elle a modifié une partie du libellé pour faire en sorte que le critère ne s’applique pas seulement aux droits de l’accusé, mais aussi au droit à un procès équitable.

[57]  Les arrêts MacIntyre, Dagenais et Mentuck portent sur la restriction du principe de la publicité des débats judiciaires dans le contexte d’instances en droit criminel. La Cour suprême du Canada a aussi appliqué ce principe dans le contexte d’instances civiles. Dans l’arrêt Sierra Club, la Cour suprême a infirmé la décision de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, qui avaient refusé de rendre une ordonnance de confidentialité à l’égard de résumés de documents commerciaux.

[58]  Puisque la requête en cause est examinée dans le contexte civil, plutôt que dans le contexte criminel, le critère Dagenais/Mentuck, dans sa version adaptée par l’arrêt Sierra Club, est décrit ci-dessous (voir l’arrêt Sierra Club, au paragraphe 53). Une ordonnance de confidentialité doit être rendue lorsque :

  • a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

  • b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

L’application du principe de la publicité des débats judiciaires au Tribunal

[59]  Il ressort clairement de ce qui précède que le principe de la publicité des débats judiciaires a une large portée. De plus, l’importance de ce principe est reconnue depuis longtemps et est ancrée dans le caractère solennel des instances judiciaires. Le Tribunal conclut que l’objet de ce principe s’applique aussi dans le contexte des instances des tribunaux administratifs, lorsque ceux-ci exercent des fonctions quasi judiciaires. Le fait que le principe de la publicité des débats judiciaires soit reconnu par la Charte ne fait que confirmer qu’il s’applique aux fonctions quasi judiciaires qui sont exercées par les tribunaux administratifs. Il est inutile de préciser que ces valeurs constitutionnelles transcendent les instances judiciaires et les instances quasi judiciaires.

[60]  Pour décider si le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique à un organisme administratif, il est important d’utiliser une approche fonctionnelle. L’approche fonctionnelle tient compte de divers facteurs, dont les suivants : la nature du travail du tribunal, le mandat du tribunal et les valeurs qui y sont sous-jacentes, si le tribunal est assujetti au devoir d’équité, si tribunal doit soupeser des éléments de preuve pour rendre ses décisions, la mesure dans laquelle le tribunal exerce par ailleurs des fonctions quasi judiciaires, si le processus est contradictoire, et la mesure dans laquelle les droits et les obligations des parties sont en jeux. Toute disposition de la loi habilitante du tribunal qui limiterait l’application de ce principe doit aussi être prise en compte, tout en n’oubliant pas que le principe de la publicité des débats judiciaires est protégé par la Constitution.

[61]  À la lumière de ces facteurs, il ne fait aucun doute que le Tribunal doit appliquer le principe de la publicité des débats judiciaires. Le Tribunal doit soupeser des éléments de preuve. Il exerce des fonctions quasi judiciaires qui sont semblables à celle d’une cour de justice. Il est assujetti au devoir d’équité, et sa loi habilitante exige que l’instruction des plaintes soit faite dans le respect des principes de justice naturelle (voir le paragraphe 21(1) de la Loi). Les instances du Tribunal sont de nature judiciaire, et le Tribunal est un décideur impartial. Il entend les arguments contradictoires des parties et des témoins, arrive à des conclusions de fait et évalue la crédibilité. Le fait que les décideurs du Tribunal sont des juges nommés par le gouvernement fédéral n’est pas déterminant, mais il revêt une certaine importance dans le contexte de la Loi et des valeurs qui la sous-tendent. La Loi, en créant le Tribunal, a établi un nouvel organisme spécialisé. Le Tribunal rend des décisions qui touchent les droits et les obligations des parties qui comparaissent devant lui (voir aussi la décision El-Helou c Service administratif des tribunaux judiciaires, 2011-TP-01, aux paragraphes 85 à 89). Le Tribunal n’est pas obligé de tenir ses audiences à huis clos. Inversement, le fait que la Loi comporte une disposition qui permet au Tribunal de décider de tenir ses séances à huis clos démontre clairement que les instances du Tribunal sont présumées être ouvertes au public (voir l’article 21.3 de la Loi).

[62]  Un cadre de règles de procédure est en place pour garantir l’équité, la transparence et l’objectivité du processus décisionnel. Le paragraphe 21(2) de la Loi permet au président du Tribunal d’établir des règles de pratique, notamment pour régir l’assignation des témoins, la production et la signification de documents ainsi que les enquêtes préalables. Les Règles permettent aussi à une partie de présenter une requête visant l’obtention d’une ordonnance de confidentialité, à titre d’exception à la présomption de publicité des instances du Tribunal.

[63]  Le Tribunal conclut aussi que le libellé de la Loi ne limite pas l’application du principe de la publicité des débats judiciaires à ses instances. Ce libellé n’étaye pas l’argument des parties requérantes selon lequel l’alinéa 22e) et l’article 44 de la Loi font de la confidentialité un élément clé de la Loi. L’alinéa 22e) porte sur des considérations précises qui ont seulement trait à l’enquête sur la plainte. De plus, le libellé de cette disposition comporte deux réserves, à savoir « toute autre loi fédérale applicable » et « en conformité avec les règles de droit en vigueur ». Suivant l’alinéa 22e), les attributions du commissaire incluent:

subject to any other Act of Parliament,

protect, to the extent possible in accordance

with the law, the identity of persons involved

in the disclosure process, including that of

persons making disclosures, witnesses and

persons alleged to be responsible for wrongdoing;

sous réserve de toute autre loi fédérale applicable,

veiller, dans toute la mesure du possible et en conformité avec les règles de droit

en vigueur, à ce que l’identité des personnes

mises en cause par une divulgation ou une

enquête soit protégée, notamment celle du

divulgateur, des témoins et de l’auteur présumé

de l’acte répréhensible;

(Non souligné dans l’original.)

[64]  Le libellé de l’article 44 de la Loi comporte aussi une réserve. Il prévoit que le commissaire et les personnes agissant en son nom ou sous son autorité sont tenus au secret en ce qui concerne les renseignements dont ils prennent connaissance dans l’exercice des attributions que leur confère la Loi. Toutefois, cette exigence ne s’applique pas aux communications faites en exécution d’une obligation légale ou autorisées par la Loi :

Unless the disclosure is required by law

or permitted by this Act, the Commissioner and

every person acting on behalf of or under the

direction of the Commissioner shall not disclose

any information that comes to their

knowledge in the performance of their duties

under this Act.

Sauf si la communication est faite en

exécution d’une obligation légale ou est autorisée

par la présente loi, le commissaire et les

personnes agissant en son nom ou sous son autorité

sont tenus au secret en ce qui concerne

les renseignements dont ils prennent connaissance

dans l’exercice des attributions que leur

confère la présente loi.

(Non souligné dans l’original.)

[65]  Toutefois, au-delà de ces observations, le Tribunal souligne qu’il doit interpréter la Loi en tenant compte de son contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd., Markham, LexisNexis, 2008, aux pages 1, 257 à 259 et 264 à 269). Le préambule de la Loi reconnaît l’importance de l’administration publique fédérale, la qualifiant d’institution nationale essentielle au fonctionnement de la démocratie parlementaire canadienne. Le préambule explique que la Loi vise à atteindre l’équilibre entre le devoir de loyauté qu’ont les fonctionnaires envers leur employeur et la liberté d’expression qui leur est garantie par la Charte. La Loi vise à créer des mécanismes efficaces et transparents de divulgation des actes répréhensibles.

[66]  On pourrait dire que la Loi est conçue de manière à ce que le public joue le rôle d’observateur ou de jury permanent pour les instances du Tribunal.

Les exceptions prévues à la LPRP et le principe de la publicité des débats judiciaires

[67]  Les parties requérantes soutiennent que, en application de la LPRP, le Tribunal devrait accorder l’ordonnance demandée. Cette loi prévoit que les renseignements personnels qui relèvent d’une institution fédérale ne peuvent pas être communiqués, à défaut du consentement de l’individu qu’ils concernent.

[68]  Le Tribunal conclut que la LPRP n’a pas pour effet de soutenir le maintien de l’ordonnance de confidentialité. Certaines exceptions prévues à la LPRP s’appliquent en l’espèce. L’alinéa 8(2)a) autorise la communication de renseignements personnels sans le consentement de l’individu qu’ils concernent pour les usages qui sont compatibles avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis ou préparés. Le Tribunal estime que les renseignements en cause ont été obtenus par le commissaire afin de remplir son rôle, c’est-à-dire d’enquêter sur les plaintes déposées en vertu de la Loi. Les renseignements ont été transmis au Tribunal, en application de la Loi. Par conséquent, cela constitue une communication aux fins auxquelles les renseignements ont été recueillis, et il s’agit certainement d’un usage compatible avec ces fins.

[69]  Selon l’alinéa 8(2)b) de la Loi, les renseignements personnels peuvent être communiqués « aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou ceux de leurs règlements qui autorisent cette communication ». Le Tribunal souligne que l’alinéa 5c) des Règles prévoit expressément que la demande présentée par le commissaire en vertu du paragraphe 20.4(1) de la Loi doit inclure une copie de la plainte ainsi qu’un résumé de son contenu. C’est ce sur quoi le Tribunal se fonde pour décider si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant en raison de la divulgation d’actes répréhensibles au sens de la Loi.

[70]  Le régime global de la Loi exige que le Tribunal mène ses instances de manière transparente. Comme d’autres tribunaux quasi judiciaires, le Tribunal reçoit des renseignements personnels dans le contexte de ses instances. Ces renseignements peuvent provenir de la demande, de l’exposé des précisions, de la preuve documentaire à l’appui ou des témoignages qui lui sont livrés. Ces renseignements servent à atteindre un objectif fondamental : permettre au Tribunal de décider si des représailles ont été exercées.

[71]  De plus, le Tribunal est autorisé par la loi à statuer sur cette question, et il est maître de sa propre procédure. Ainsi, les renseignements que le Tribunal reçoit sont visés par les exceptions prévues aux alinéas 8(2)a) (un usage compatible avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis) et 8(2)b) (une communication à des fins conformes aux lois fédérales) de la LPRP.

[72]  Par ailleurs, l’alinéa 8(2)m) de la LPRP autorise la communication dans les cas ou des raisons d’intérêt public justifieraient nettement une éventuelle violation de la vie privée. Cette disposition permet aussi la communication de renseignements personnels lorsque l’individu concerné en tirerait un avantage certain. Pour ce qui est de cette dernière exception, le Tribunal doit rejeter l’argument des parties requérantes voulant que, en l’espèce, aucune raison d’intérêt public ne justifie une éventuelle violation de la vie privée qui résulterait de la communication des renseignements. En outre, parmi les manières dont la Loi promeut l’intérêt public, il y a la présomption que les instances du Tribunal sont publiques, et, de toute manière, la preuve permet au Tribunal d’arriver à une seule conclusion : l’intérêt public commande que la transparence l’emporte.

[73]  Les parties requérantes soutiennent que les renseignements personnels en cause ne sont pas pertinents et n’auraient qu’une valeur limitée s’ils étaient rendus publics. Selon elles, la Commission a jugé qu’un bon nombre des questions soulevées dans la plainte ne relevaient pas de sa compétence et, aux fins de la présentation d’une demande au Tribunal, la Commission a conclu que certaines allégations n’étaient pas fondées. Les parties requérantes affirment que, par conséquent, il n’y a aucune raison d’appliquer les exceptions prévues à la LPRP.

[74]  Le Tribunal ne peut pas souscrire à cet argument. À cet égard, la réponse du plaignant à cet argument est convaincante. Dans de nombreuses instances, les personnes qui sont visées par des allégations sont couramment nommées, et ce, même lorsque les allégations sont finalement rejetées.

[75]  En outre, l’argument des parties requérantes est prématuré. Même si le Tribunal n’a pas compétence sur certains éléments d’une plainte pour décider si des représailles ont été exercées, cela ne signifie pas que le Tribunal ne peut pas tenir compte de ces renseignements pour soupeser la preuve. Les éléments de preuve qui ont trait à des allégations qui ont été écartées par le commissaire peuvent néanmoins être pertinents à l’égard de l’instance portant sur l’allégation qui a donné lieu à la présentation d’une demande au Tribunal. D’autre part, les faits liés aux allégations qui ont été écartées pourraient être pertinents. La preuve ayant trait à la plainte initiale et à l’ensemble des allégations peut être examinée à l’audience (voir aussi la décision El‑Helou c Service administratif des tribunaux judiciaires, 2011-TP-01, au paragraphe 97).

[76]  Le Tribunal ne remet pas en cause les objectifs importants qui sont visés par la LPRP. Cependant, il faut trouver le point d’équilibre entre ces objectifs et d’autres valeurs. Cette mise en balance est d’autant plus importante que le principe de la publicité des débats judiciaires a valeur constitutionnelle. Il convient aussi de souligner que les tribunaux, dont le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs, ne cherchent pas activement à « obtenir » des renseignements personnels. Ce sont les parties qui communiquent ces renseignements aux tribunaux dans le contexte des litiges qui doivent être tranchés. Le rôle des tribunaux est donc fort différent de celui de certaines branches de l’exécutif, qui cherchent à « obtenir » et qui recueillent activement des renseignements à diverses autres fins.

[77]  Comme l’a noté le plaignant dans sa réponse aux requêtes en cause, la LPRP [traduction] « n’oblige pas le Tribunal à abandonner son propre objectif légal ». Le Tribunal est d’accord avec le plaignant à ce sujet. De même, la LPRP ne peut pas écarter les principes constitutionnels qui sous-tendent le principe de la publicité des débats judiciaires. En application du principe de la publicité des débats judiciaires, les renseignements personnels qui relèvent du Tribunal et que ce dernier reçoit dans le cadre de ses fonctions quasi judiciaires sont publics. Le paragraphe 69(2) de la LPRP prévoit une exception importante à ce sujet : les renseignements personnels auxquels le public a accès ne sont pas assujettis aux articles 7 et 8 de la LPRP. Ces deux articles interdisent l’usage ou la communication des renseignements personnels (sauf dans des circonstances limitées). Suivant le paragraphe 69(2), les articles 7 et 8 ne s’appliquent pas aux renseignements personnels auxquels le public a accès. Par conséquent, lorsque le principe de la publicité des débats judiciaires – qui est protégé par la Constitution – s’applique à un tribunal administratif, et tel est le cas en l’espèce, les renseignements personnels qui sont dûment reçus par ce tribunal dans le cadre de ses fonctions quasi judiciaires ne sont pas visés par la LPRP.

Résumé

[78]  Le principe de la publicité des débats judiciaires est une des pierres angulaires du système juridique canadien. Ce principe s’applique non seulement à l’audience elle-même, mais aussi à tout le déroulement de l’instance avant la tenue de l’audience. Il s’applique aux actes de procédure et, en l’espèce, à la demande, aux exposés des précisions et aux preuves à l’appui qui sont déposés conformément à la Loi et aux Règles.

[79]  Le principe de la publicité des débats judiciaires peut être limité de certaines manières. Par exemple, le privilège de l’indicateur de police jouit d’une protection absolue et n’accorde aucune latitude aux tribunaux. Le principe peut aussi être restreint par la loi. Toutefois, les tribunaux exercent habituellement leur pouvoir discrétionnaire de limiter la publicité des débats judiciaires en appliquant le critère Dagenais/Mentuck. Ainsi, lorsqu’on demande à un décideur de rendre diverses ordonnances conservatoires qui limiteraient l’accès à des renseignements dans une instance, celui-ci exerce son pouvoir discrétionnaire. Le principe de la publicité des débats judiciaires s’applique au Tribunal, et ce dernier doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider s’il convient de limiter ce principe.

[80]  La LPRP ne saurait limiter la portée du principe de la publicité des débats judiciaires dans la présente instance. Des exceptions prévues à la LPRP s’appliquent en l’espèce : l’exception de l’usage compatible avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis (alinéa 8(2)a)), l’exception de la communication aux fins qui sont conformes avec les lois fédérales ou leurs règlements (alinéa 8(2)b)) et l’exception des raisons d’intérêt public (alinéa 8(2)m)). Compte tenu du principe de la publicité des débats judiciaires, qui est protégé par la Charte, et du fait que ce principe s’applique au Tribunal, les renseignements personnels qui sont obtenus par le Tribunal dans le cadre de ses fonctions quasi judiciaires sont publics. Par conséquent, l’exception importante qui est prévue au paragraphe 69(2) de la LPRP s’applique elle aussi.

IV.  APPLICATION DU PRINCIPE AUX REQUÊTES VISANT LE MAINTIEN DE L’ORDONNANCE DE CONFIDENTIALITÉ

[81]  À cette étape, le Tribunal doit décider si la publicité des annexes A et B devrait être limitée au moyen d’une ordonnance de confidentialité. Comme il est mentionné ci-dessus, plusieurs raisons font que les interdictions prévues à la LPRP ne permettent pas au Tribunal de rendre une ordonnance de confidentialité. De plus, le principe de la publicité des débats judiciaires a pour effet de rendre publics les renseignements obtenus par le Tribunal. Il reste donc à savoir si la publicité des deux annexes en question peut être limitée, en tout ou en partie, en vertu du critère énoncé dans les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club.

[82]  Le Tribunal a décidé d’adapter ce critère jurisprudentiel aux fins de ses instances, de la manière suivante. Une ordonnance de confidentialité doit être rendue lorsque :

elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important que l’on cherche à protéger, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

ses effets salutaires (bénéfiques) l’emportent sur ses effets préjudiciables (néfastes) sur la liberté d’expression et l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaire.

[83]  Les parties requérantes affirment que la communication des renseignements en cause présente un risque sérieux, car les réputations personnelles et professionnelles des parties intéressées pourraient être entachées. Elles soutiennent aussi que l’ordonnance demandée a une portée restreinte et qu’il n’existe aucune autre option raisonnable. Par exemple, elles notent que la radiation des renseignements visés ne serait pas pratique et ne permettrait pas d’obtenir une version caviardée et lisible du document en cause.

[84]  Les parties requérantes soulignent aussi que certaines des allégations faites dans la plainte n’ont pas fait l’objet d’une enquête du commissaire et que ces allégations n’auraient pas pu validement faire l’objet d’une telle enquête. Elles mentionnent que la demande présentée au Tribunal ne reprend pas toutes les allégations initiales. Enfin, elles affirment que, si les renseignements renfermés dans les annexes étaient rendus publics, il est fort probable que leurs réputations personnelles et professionnelles seraient entachées. Selon elles, la communication de ces renseignements nuirait à leurs perspectives de carrière.

[85]  Elles ont présenté plusieurs affidavits à l’appui de leur requête, y compris un affidavit fait par l’enquêteuse du Commissariat, qui est daté du 13 mai 2011. Un grand nombre des observations faites par l’enquêteuse portent sur l’enquête de sécurité menée par le Service administratif des tribunaux judiciaires au sujet de la sécurité d’un membre de la magistrature d’une de ses cours.

[86]  Comme il est mentionné ci-dessus, une ordonnance de non-publication est en vigueur à l’égard de l’identité de ce membre de la magistrature et de questions relatives à l’enquête de sécurité.

[87]  Les autres affidavits ont certains points en commun. Les souscripteurs de ces affidavits mentionnent que certaines des allégations faites dans la plainte n’ont pas fait l’objet d’une enquête du commissaire et que ces allégations n’auraient pas pu validement faire l’objet d’une telle enquête. Ils soulignent aussi que certaines des allégations ont été jugées non fondées et qu’elles ne font pas partie de la demande présentée au Tribunal. Ils disent croire que, si les allégations les visant étaient rendues publiques, il est fort probable que leurs réputations personnelles et professionnelles seraient entachées et que, si ces allégations n’étaient pas tenues secrètes, leurs perspectives de carrière pourraient être limitées.

[88]  Le Tribunal ne peut pas accorder une ordonnance de confidentialité sur le seul fondement de ces observations et de ces éléments de preuve. Les observations et les documents à l’appui qui ont été présentés constituent de simples affirmations, et les éléments de preuve présentés sont insuffisants pour convaincre le Tribunal que la communication des renseignements donnés dans la plainte représente un risque sérieux pour les défendeurs et les parties intéressées. Le fait que les documents en question contiennent des renseignements sensibles, préjudiciables ou gênants ne correspond à aucune exception qui exigerait que le Tribunal rende une ordonnance de confidentialité ou une ordonnance de mise sous scellé. En outre, ces considérations doivent être mises en balance avec l’intégrité du processus judiciaire (voir les décisions Doe 2003, Doe 2008 et Rivard).

[89]   Comme il est souligné précédemment dans les présents motifs, le fait que le commissaire ait jugé qu’une allégation de représailles n’était pas fondée ne justifie pas, à lui seul, de limiter le principe de la publicité des débats judiciaires. De plus, en l’espèce, l’affidavit ne démontre pas qu’il est fort probable que, si les allégations étaient rendues publiques, les réputations des parties seraient entachées.

[90]  Il convient aussi de souligner que les documents déposés en preuve ne font pas encore foi de leur véracité. De surcroît, le nom des parties intéressées et des défendeurs à titre individuel a déjà été rendu public, soit dans l’instance dans son ensemble, soit dans les requêtes.

[91]  Les parties requérantes n’ont pas satisfait au premier volet du critère visant l’exercice du pouvoir discrétionnaire permettant de limiter le principe de la publicité des débats judiciaires. Le Tribunal n’a donc pas besoin de faire l’analyse pour le deuxième volet de ce critère. Cependant, même si le Tribunal faisait cette analyse, aucun des éléments de preuve qui lui ont été présentés ne démontre que, en l’espèce, s’il rendait une ordonnance limitant le principe de la publicité des débats judiciaires, les effets bénéfiques de cette ordonnance l’emporteraient sur ses effets néfastes sur la liberté d’expression et l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[92]  Le Tribunal a donc décidé d’annuler l’ordonnance provisoire de confidentialité, en date de la présente décision.

  V.  AUTRES QUESTIONS LIÉES À L’ORDONNANCE DE NON-PUBLICATION

[93]  Le Tribunal rappelle aux parties que l’ordonnance de non-publication qu’il a rendue le 23 août 2011 est toujours en vigueur. Cette ordonnance vise tout renseignement contenu dans les documents et les dossiers déposés auprès du Tribunal ou entendu dans l’instance qui permettrait d’identifier le membre de la magistrature nommé dans l’avis de requête confidentiel et dans des documents déposés auprès du Tribunal et la ou les personnes soupçonnées ou accusées d’avoir formulé des menaces contre ce membre de la magistrature. Cette ordonnance restera en vigueur tout au long de l’instance du Tribunal et jusqu’à ce que le Tribunal rende une décision définitive sur la plainte, ou jusqu’à ce que le Tribunal rende une ordonnance contraire.

[94]  Le Tribunal annule son ordonnance provisoire de confidentialité datée du 10 juin 2011, en date de la présente décision.

LE TRIBUNAL REND LA DÉCISION SUIVANTE :

  1. Les requêtes des deux défendeurs à titre individuel et des trois parties intéressées visant le maintien de l’ordonnance provisoire de confidentialité sont rejetées.
  2. L’ordonnance provisoire de confidentialité datée du 10 juin 2011 est annulée, en date de la présente décision.
  1. L’ordonnance de non-publication datée du 23 août 2011 reste en vigueur.

« Luc Martineau »

Président

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B., M.A.Trad.jur.

TRIBUNAL DE LA PROTECTION DES FONCTIONNAIRES DIVULGATEURS D’ACTES RÉPRÉHENSIBLES

PARTIES INSCRITES AU DOSSIER

NUMÉRO DE DOSSIER :

2012 TPFD 1

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T-2011-01

INTITULÉ :

AUDIENCE TENUE DEVANT :

Charbel El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires et David Power et Éric Delage

Le juge Luc Martineau

 

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

 

Le 8 février 2012

DÉCISION RENDUE SUR LE FONDEMENT DES OBSERVATIONS ÉCRITES ET DU DOSSIER DÉPOSÉS

COMPARUTIONS :

Me Andrew Raven

Raven, Cameron, Ballantyne and Yazbeck LLP/s.r.l.

 

Pour le plaignant

Me Brian Radford

Pour le Commissariat à l’intégrité du

secteur public

Me Ronald Caza

Me Julie Paquette

Heenan Blaikie

Pour l’employeur

Me Stephen Bird

Me Alanna Twohey

Bird Richard

Pour les défendeurs à titre individuel

et les parties intéressées

 

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