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Informations sur la décision

Résumé :

Mots-clés: Commissaire à l’intégrité du secteur public (le commissaire), Commissariat à l’intégrité du secteur public (le Commissariat), compétence, demande présentée au Tribunal, Loi canadienne sur les droits de la personne, Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi), plainte, requête, requête interlocutoire, statut quasi constitutionnelle, Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (le Tribunal).

Contexte: Le plaignant a présenté une requête concernant la compétence du Tribunal lorsque le commissaire présente une demande qui n’inclut pas toutes les allégations soulevées dans la plainte initiale. Le plaignant avait déposé une plainte auprès du commissaire alléguant que trois mesures de représailles avaient été exercées à son égard. Le commissaire a accepté les conclusions et les recommandations énoncées dans le rapport des enquêteuses. Il a rejeté deux des allégations et a présenté au Tribunal une demande reprenant seulement une des allégations soulevées dans la plainte initiale. Dans sa requête, le plaignant a demandé au Tribunal de rendre une ordonnance confirmant que le Tribunal a compétence pour se pencher sur toutes les allégations de représailles faites dans la plainte. Selon le plaignant, lorsque le commissaire a présenté une demande, le Tribunal a le pouvoir de se pencher sur l’ensemble des allégations, même celles qui faisaient partie de la plainte initiale et qui avaient été écartées par le commissaire avant la présentation de la demande. Le plaignant a aussi affirmé que la Loi a un statut quasi constitutionnel.

Motifs: Le Tribunal a expliqué le contexte et l’historique de la Loi. Il a conclu que, pour décider s’il doit se pencher sur les allégations qui n’ont pas été incluses dans la demande, il n’est pas nécessaire de décider si la Loi a un statut quasi constitutionnel. Le législateur avait clairement l’intention qu’il incombe au commissaire d’effectuer un examen préalable pour décider si l’instruction d’une demande est justifiée. Le Tribunal a passé en revue les étapes du processus décisionnel du commissaire quant à la présentation d’une demande au Tribunal, et il a insisté sur l’importance du rôle du commissaire comme gardien de l’accès au Tribunal. Le législateur avait clairement l’intention qu’il incombe au commissaire d’effectuer un examen préalable et que le Tribunal ne puisse pas le contourner. Le Tribunal a comparé le régime de protection des fonctionnaires divulgateurs au régime des droits de la personne au Canada, qui confère un rôle semblable de gardien à la Commission canadienne des droits de la personne. Le Tribunal a noté que son rôle consiste à décider si des représailles ont été exercées ou non. Il ne peut pas procéder au contrôle judiciaire des demandes qui lui sont présentées. Finalement, le Tribunal a souligné que sa décision sur la requête ne fait pas obstacle à la possibilité qu’il tienne compte d’éléments de preuve concernant les allégations rejetées par le commissaire.

Contenu de la décision

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 Disclosure Protection
 Tribunal Canada

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Tribunal de la protection
des fonctionnaires
divulgateurs du Canada

Référence: El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2011 TPFD 1

Dossier : T-2011- 01

Rendue à : Ottawa (Ontario)

Le 6 octobre 2011

Affaire concernant une demande du commissaire à l’intégrité du secteur public présentée au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs Canada

ENTRE :

CHARBEL EL-HELOU

plaignant

-et-

LE COMMISSARIAT À L’INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

commissaire

et

LE SERVICE ADMINISTRATIF DES TRIBUNAUX JUDICIAIRES

employeur

et

DAVID POWER

défendeur à titre individuel

et

ÉRIC DELAGE

défendeur à titre individuel

DÉCISION INTERLOCUTOIRE SUR LA COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

LA PRÉSENTE REQUÊTE EN MATIÈRE DE COMPÉTENCE

[1]  La présente décision interlocutoire tranche une requête présentée par le plaignant le 15 juillet 2011 concernant la portée de la compétence du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs Canada (le Tribunal) lorsque le commissaire à l’intégrité du secteur public (le commissaire) lui présente une demande en vertu du paragraphe 20.4(1) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, LC 2005, ch 46 (la Loi).

[2]  La Loi crée un havre pour les fonctionnaires afin qu’ils puissent divulguer des actes répréhensibles et être protégés contre les représailles. Elle a créé la fonction de commissaire à l’intégrité du secteur public ainsi que le Tribunal. Parmi les nombreux pouvoirs du commissaire, on compte celui de présenter une demande au Tribunal afin qu’il détermine si des mesures prises contre un fonctionnaire constituent des représailles au sens de la Loi.

[3]  La demande présentée au Tribunal en l’espèce découle d’une plainte présentée au commissaire en juillet 2009. Cette demande porte notamment sur l’examen de la conduite du Service administratif des tribunaux judiciaires (le SATJ ou l’employeur) et de certains de ses cadres supérieurs. Le rôle du SATJ est de fournir des services administratifs à quatre tribunaux : la Cour d’appel fédérale, la Cour fédérale, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada et la Cour canadienne de l’impôt.

[4]  Alors qu’il travaillait pour le SATJ, le plaignant, M. El­Helou, a été témoin de ce qu’il considérait être des actes répréhensibles commis par d’autres fonctionnaires et il les a rapportés à la personne désignée comme étant l’agent supérieur chargé de recevoir les divulgations internes d’actes répréhensibles suivant la Loi, soit M. David Power, l’un des défendeurs à titre individuel, qui était aussi, à l’époque, l’administrateur en chef adjoint, Services ministériels, de l’employeur.

[5]  Dans la plainte déposée au Commissariat à l’intégrité du secteur public (le Commissariat), datée du 3 juillet et du 9 juillet 2009, le plaignant a allégué ce qui suit :

  • a) M. Laurent Francoeur, le superviseur du plaignant, a demandé à M. Éric Cloutier, directeur, Gestion de l’information, d’obtenir des renseignements sur le style de gestion du plaignant ainsi que des commentaires négatifs de ses subordonnés. Il semble que M. Cloutier se soit chargé de cette demande le ou vers le 25 mai 2009, lorsque M. Francoeur était en vacances; M. Cloutier remplaçait alors M. Francoeur (la première allégation);

  • b) Le 5 juin 2009, Mme Francine Côté, administratrice en chef adjointe, a temporairement affecté le plaignant à d’autres fonctions et ses responsabilités de superviseur lui ont été retirées (la deuxième allégation);

  • c) Sa cote de sécurité de niveau « Très secret » a été gardée en suspens en mai 2009, et ce, jusqu’à son départ en février 2010 (la troisième allégation).

[6]  Le Commissariat a accepté la plainte et a fait enquête. La plainte initiale renfermait une quatrième allégation qui portait sur du harcèlement, mais cette allégation a plus tard été écartée par l’enquêteure du Commissariat, du consentement du plaignant, après le début de l’enquête. L’enquêteure principale a estimé que la preuve n’étayait pas une conclusion selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que les deux premières allégations exposées ci­dessus étaient fondées; cependant, elle a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la cote de sécurité « Très secret » du plaignant avait été gardée en suspens par mesure de représailles. Le commissaire a accepté les conclusions et les recommandations formulées par l’enquêteure dans son rapport daté du 14 avril 2011.

[7]  Dans une lettre du 18 avril 2011, les parties à la plainte ont été avisées que :

(1) le commissaire avait rejeté, sur le fondement de l’article 20.5 de la Loi, toutes les allégations visant M. Cloutier, Mme Côté et M. Francoeur dans le cadre de la plainte;

(2) le commissaire présenterait une demande au Tribunal en vertu du paragraphe 20.4(1) de la Loi, afin qu’il détermine si la cote de sécurité « Très secret » du plaignant avait été gardée en suspens par mesure représailles et, dans l’affirmative, si M. Power et M. Delage devraient faire l’objet de sanctions disciplinaires.

[8]  Le 16 mai 2011, le commissaire a déposé la demande au Tribunal en l’espèce, et le 7 juin 2011, le commissaire a déposé son exposé des précisions, qui ne visait que la troisième allégation.

[9]  Avant qu’on lui demande de déposer son propre exposé des précisions, le plaignant a annoncé son intention de demander au Tribunal de rendre une ordonnance confirmant qu’il a compétence pour se pencher sur toutes les allégations de représailles visées par la plainte (la présente requête en matière de compétence). En outre, le plaignant a en même temps contesté en Cour fédérale (dossier T­862­11) la légalité de la décision du commissaire d’écarter les deux premières allégations de la plainte.

[10]  Le 10 juin 2011, le Tribunal a ordonné aux parties de suspendre le dépôt de leurs exposés des précisions jusqu’à nouvel ordre, soit jusqu’à ce que le Tribunal tranche la requête en matière de compétence ainsi que d’autres requêtes préliminaires. Le Tribunal a ordonné que la requête en matière de compétence présentée par le plaignant soit entendue de vive voix et que toutes les autres requêtes préliminaires soient tranchées sur le fondement des documents et des observations déposés par les parties dans le cadre de la requête.

[11]  Vu que la demande du commissaire présentée en vertu du paragraphe 20.4(1) de la Loi ne visait que l’une des trois allégations de la plainte (les deux autres ayant été écartées suivant l’article 20.5 de la Loi au motif que la preuve ne les étayait pas), la question est de savoir si le Tribunal doit, peut ou ne peut pas décider si les mesures dont font état les deux autres allégations constituaient des représailles et, dans la mesure où les allégations de représailles sont fondées, ordonner la prise de mesures de réparation.

[12]  Le 31 août 2011, une formation des trois membres du Tribunal a entendu les arguments de toutes les parties à la demande. En passant, M. Delage et M. Power (les défendeurs à titre individuel) et le SATJ (l’employeur) sont représentés par des avocats différents. Les avocats des défendeurs à titre individuel représentent aussi M. Francoeur, M. Cloutier et Mme Côté (les parties intéressées), qui ont été autorisés par le Tribunal à participer à la requête en matière de compétence présentée par le plaignant.

LE CONTEXTE FACTUEL

[13]  Les faits qui ont mené à la demande se sont produits en 2009 et sont résumés dans un certain nombre de documents déjà déposés au Tribunal, notamment dans l’avis de demande et dans l’exposé des précisions déposés par le commissaire en l’espèce.

[14]  Le 16 mai 2011, en même temps qu’il a déposé sa demande, le commissaire a déposé un avis de requête sollicitant une ordonnance déclarant les annexes A et B confidentiels. L’annexe A est composé d’une copie de la plainte initiale et des documents connexes déposés auprès du commissaire le 3 juillet 2009, alors que l’annexe B est composée d’une copie des documents et des renseignements supplémentaires déposés auprès du commissaire le 9 juillet 2009 afin d’étoffer la plainte initiale du plaignant.

[15]  Il convient de souligner qu’il est souvent question dans la plainte d’une enquête de sécurité menée par le SATJ en lien avec des menaces qui avaient été proférées contre un membre de la magistrature et qu’elle renferme également des allégations contre des personnes dont la conduite n’a pas été estimée répréhensible par le commissaire.

[16]  Le 10 juin 2011, le Tribunal a rendu une ordonnance provisoire de confidentialité du consentement des parties en ce qui concerne les documents composant les annexes A et B et une ordonnance provisoire de non­publication; ces ordonnances resteront en vigueur jusqu’à ce que les requêtes du commissaire soient tranchées par le Tribunal ou bien jusqu’à ce que le Tribunal rende une ordonnance contraire.

[17]  Le 23 août 2011, le Tribunal a accepté de prolonger l’ordonnance de non­publication jusqu’à ce qu’il tranche la demande de façon définitive, ou jusqu’à ce qu’il rende une ordonnance contraire.

[18]  Les faits exposés ci­dessous sont tirés d’un certain nombre de documents déjà déposés, le Tribunal reconnaît toutefois que ces faits ou allégations devront être prouvés lors de l’audience de la demande.

[19]  À l’époque où les représailles auraient été exercées, le plaignant était fonctionnaire et occupait le poste de directeur, Services à la clientèle et Infrastructure, au sein du SATJ à Ottawa. Il a quitté le SATJ en février 2010; il est encore fonctionnaire et il travaille pour Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.

[20]  À un certain moment en 2009, le SATJ et le service de police de la ville d’Ottawa ont mené une enquête sur des courriels menaçants qui avaient été envoyés par un individu à un membre de la magistrature. En cours d’enquête, M. Éric Delage, directeur, Services administratifs, Gestion des installations et Sécurité, a demandé d’avoir accès à plusieurs courriels de la semaine du 26 janvier 2009 et d’en faire des copies. Le 2 février 2009, M. Francoeur, directeur général, Service des technologies de l’information, a demandé au plaignant de faire un suivi sur cette demande (paragraphe 6 de l’exposé des précisions).

[21]  Le plaignant a plus tard informé M. Francoeur qu’il n’avait trouvé aucun courriel daté d’avant le 28 janvier 2009 envoyé par l’individu qui aurait proféré des menaces contre le membre de la magistrature. Pendant cette discussion, M. Francoeur a réitéré sa demande : il voulait tous les courriels de la semaine du 26 janvier 2009, et il a précisé qu’il voulait voir tous les courriels que le membre de la magistrature en cause avait envoyés (paragraphe 8 de l’exposé des précisions).

[22]  Le plaignant était contrarié par la demande d’accès à ces courriels, dont certains, pensait‑il, pourraient renfermer des renseignements sensibles. Bien qu’il croyait que la demande était inappropriée, il s’y est conformé. Après avoir accompli cette tâche, il a informé le membre de la magistrature qu’on lui avait demandé d’accéder à ses courriels de la semaine du 26 janvier 2009 et de les copier, et qu’il estimait que cette demande était inappropriée (paragraphe 11 de l’exposé des précisions.) Le membre de la magistrature a par la suite informé un cadre de rang supérieur de la situation.

[23]  Le plaignant a affirmé que, par la suite, sa relation avec M. Delage et M. Francoeur s’est détériorée. Il a eu plusieurs réunions avec M. Power, qui était avocat principal et qui occupait aussi plusieurs autres postes : il était l’administrateur en chef adjoint par intérim, Services ministériels, le gestionnaire par intérim de M. Francoeur et l’agent supérieur chargé de recevoir les divulgations internes d’actes répréhensibles suivant la Loi (paragraphes 15 et 16 de l’exposé des précisions).

[24]  Lors d’une réunion tenue le 16 mars 2009, le plaignant a dit à M. Power qu’il s’inquiétait du fait que M. Francoeur lui ait porté préjudice, mais il n’a pas soulevé la question des courriels à ce moment­là. Le 18 mars 2009, alors qu’il faisait un suivi auprès de M. Francoeur quant aux réserves soulevées par le plaignant, M. Power a été mis au courant des actes du plaignant en lien avec les courriels. Pendant une réunion tenue le 25 mars 2009, le plaignant a fait part à M. Power de ses réserves quant à la demande liée aux courriels (paragraphes 16 et 17 de l’exposé des précisions).

[25]  C’est pendant cette dernière réunion que le plaignant a aussi exprimé des réserves concernant un contrat donné à une entreprise. Plus précisément, le plaignant suspectait une collusion entre trois entreprises. M. Power a informé le plaignant qu’il avait fourni des conseils juridiques en lien avec la décision d’adjuger ce contrat et il s’est retiré des discussions à ce sujet. Il a dit au plaignant de consulter un autre conseiller juridique du SATJ, et il a dit au plaignant que ce dernier pouvait faire une divulgation protégée d’actes répréhensibles directement au Commissariat (paragraphe 21 de l’exposé des précisions).

[26]  Le plaignant a allégué qu’un certain nombre de mesures de représailles ont été prises par l’employeur à la suite des deux divulgations protégées exposées ci­dessus. Ces allégations ont été décrites précédemment (voir le paragraphe 5.) L’enquêteure principale a conclu qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de croire que les deux premières allégations étaient fondées, mais elle a estimé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que la cote de sécurité « Très secret » du plaignant avait été gardée en suspens par mesure de représailles.

[27]  En particulier, l’enquêteure principale a conclu que la preuve montrait que le SATJ voulait que le plaignant quitte le SATJ et que la menace d’une enquête concernant la cote de sécurité avait été utilisée comme moyen de pression. Le commissaire a estimé que le fait de garder en suspens la cote de sécurité du plaignant constituait des sanctions portant atteinte à ses conditions de travail et que ces sanctions avaient été prises comme mesure de représailles par suite d’une divulgation protégée. Cependant, l’enquêteure principale a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir un lien de causalité entre les divulgations protégées et l’affectation temporaire du plaignant, le retrait de ses responsabilités de superviseur ainsi que les rencontres avec les subordonnés du plaignant afin d’obtenir des renseignements sur son style de gestion et des commentaires négatifs à son sujet.

[28]  Le commissaire a accepté les conclusions et les recommandations du rapport d’enquête le 14 avril 2011. Dans des lettres datées du 18 avril 2011, le commissaire a informé les parties que, en vertu de l’article 20.5 de la Loi, il avait rejeté toutes les allégations visant M. Cloutier, Mme Côté et M. Francoeur (les première et deuxième allégations exposées ci­dessus). Il a aussi mentionné qu’il présenterait une demande au Tribunal en vertu du paragraphe 20.4(1) de la Loi, afin que le Tribunal décide si la cote de sécurité « Très secret » du plaignant avait été gardée en suspens par mesure de représailles (la troisième allégation exposée ci­dessus). Le commissaire a affirmé que, si le Tribunal devait conclure que des représailles avaient été exercées, il avait l’intention, en vertu de l’alinéa 20.4(1)b), de demander au Tribunal d’ordonner la prise de mesures de réparation en faveur du plaignant et d’ordonner la prise de sanctions disciplinaires contre la ou les personnes qui auraient exercé les représailles (les défendeurs à titre individuel).

ANALYSE ET MOTIFS

[29]  Bien que l’ensemble de la demande déposée par le commissaire le 16 mai 2011 soit important, les paragraphes 11, 12 et 13 du résumé sont au cœur de la question dont est saisi le Tribunal. Ces paragraphes sont les suivants :

[TRADUCTION]

11. La plainte initiale du plaignant (annexes A et B) porte sur les allégations de représailles suivantes :

Le ou vers le 5 juin 2009, le plaignant a été réaffecté temporairement à d’autres fonctions, et ses tâches de supervision lui ont été retirées;

Le ou vers le 25 mai 2009, un gestionnaire a rencontré les subordonnés du plaignant pour obtenir des renseignements sur son style de gestion et des commentaires négatifs à son sujet;

La cote de sécurité « Très secret » du plaignant a été gardée en suspens à partir de mai 2009;

Le plaignant a fait l’objet de harcèlement continu.

12. La quatrième allégation portant sur le harcèlement a été retirée par l’enquêteure avec le consentement du plaignant après le début de l’enquête.

13. Sur le fondement des résultats de l’enquête, j’ai conclu qu’il y avait des motifs justifiant que je présente une demande au Tribunal concernant l’allégation no 3, exposée ci­dessus, selon laquelle la cote de sécurité « Très secret » du plaignant avait été gardée en suspens par mesure de représailles. En vertu de l’article 20.5 de la Loi, j’ai rejeté les allégations nos 1 et 2 parce que j’ai conclu qu’il n’y avait pas de motif justifiant que je présente une demande au Tribunal à leurs égards.

[30]  Le plaignant a prétendu que, après que le commissaire a présenté la demande, le Tribunal a le pouvoir de se pencher sur l’ensemble des allégations, même celles qui faisaient partie de la plainte initiale et qui avaient été écartées par le commissaire. Pour étayer cette prétention, le plaignant a affirmé que la Loi était de nature quasi constitutionnelle, que le Tribunal avait le pouvoir légal d’entendre toutes les allégations, que le Tribunal disposait d’une grande discrétion à l’égard de sa procédure et que le Tribunal, pour trancher la présente question, devrait prendre exemple sur les cas semblables où un tribunal des droits de la personne décide de modifier une plainte dont il est saisi. Le plaignant a aussi fait valoir les circonstances d’ordre pratique de la présente plainte et la nature fondamentale du litige.

[31]  Le commissaire ne s’est pas opposé à la requête du plaignant, par contre il a nuancé tout assentiment à la requête dans ses observations sur le rôle et les responsabilités du commissaire dans le processus de divulgation prévu par la Loi et dans ses observations sur le rôle du Tribunal lorsqu’il doit décider si des représailles ont été exercées.

[32]  L’employeur, les défendeurs à titre individuel et les parties intéressées s’opposent à la requête du plaignant.

[33]  Pour les motifs qui suivent, la présente requête en matière de compétence ne peut pas être accueillie.

HISTOIRE DES DIVULGATIONS D’ACTES RÉPRÉHENSIBLES AU FÉDÉRAL

[34]  La perspective historique aide à comprendre et à mettre en contexte le cadre légal. Le domaine de la divulgation des actes répréhensibles est relativement nouveau, tant au Canada qu’à l’étranger. Le dialogue des tribunaux canadiens sur la capacité des fonctionnaires de protéger le public par la divulgation d’actes répréhensibles a commencé il y a plusieurs décennies. La décision arbitrale rendue par J.M. Weiler en 1981 dans l’affaire Re Ministry of Attorney General and British Columbia Government Employees Union (1981), 3 LAC (3d) 140 (aux pages 162 et 163), offre des observations utiles. Le plaignant a renvoyé à cette affaire dans sa requête, et la décision énonce ce qui suit :

[TRADUCTION]

Lorsqu’il s’agit de la critique publique de l’employeur, l’obligation de fidélité n’impose pas un bâillon absolu à un employé qui l’empêcherait de faire des déclarations qui pourraient critiquer son employeur. Un employé n’est pas tenu dans toute circonstance de suivre le conseil de Cervantes, « une bouche fermée n’avale pas de mouches ». L’obligation de fidélité ne veut pas dire que les Daniel Ellsberg et Karen Silkwood de ce monde doivent rester silencieux lorsqu’ils découvrent que des actes répréhensibles ont été commis sur les lieux de leur travail. Ni l’intérêt public ni les intérêts à long terme de l’employeur n’y gagneront si ces employés, de peur de perdre leur emploi, sont trop intimidés pour informer les personnes qui peuvent apporter une solution aux actes répréhensibles qui sont commis sur les lieux de leur travail.

[35]  En 1985, la Cour suprême du Canada a établi l’assise de la défense de « dénonciation » dans l’arrêt Fraser c Canada (Commission des relations de travail dans la Fonction publique), [1985] 2 RCS 455. La Cour suprême a reconnu l’importance de la liberté d’expression, mais elle n’a pas conclu, en définitive, que la défense de « dénonciation » pouvait être invoquée avec succès dans cette affaire.

[36]  Dans son examen des traditions de la fonction publique, la Cour suprême s’est penchée sur l’obligation de loyauté. Les qualités considérées essentielles pour la fonction publique – l’impartialité, l’équité et l’intégrité – pourraient aussi être interprétées en fonction du rôle de l’exécutif (l’application et l’administration des politiques du gouvernement) et du principe de la séparation des pouvoirs. La Cour suprême a cependant affirmé que l’obligation de loyauté n’était pas absolue et qu’elle ne pouvait pas appuyer un bâillon absolu contre un employé. Dans certaines circonstances, un fonctionnaire peut exercer sa liberté d’expression.

[37]  La Cour suprême a cerné trois situations où un fonctionnaire peut faire des divulgations d’actes répréhensibles commises par d’autres fonctionnaires : 1) si une personne accomplit des actes illégaux; 2) si la politique en place met en danger la vie, la santé ou la sécurité de personne et 3) si la divulgation du fonctionnaire n’a aucun effet sur son aptitude à accomplir d’une manière efficace ses fonctions ni sur la façon dont le public perçoit cette aptitude.

[38]  La Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) n’avait pas été promulguée à l’époque où les faits dans l’affaire Fraser avaient eu lieu, mais la Cour suprême a reconnu que la liberté d’expression était une valeur profondément enracinée dans notre système démocratique. Il a été conclu dans l’arrêt Fraser, et dans plusieurs autres arrêts qui ont suivi et qui ont porté directement sur la Charte, qu’il était important d’établir un équilibre entre la liberté d’expression et l’obligation de loyauté envers l’employeur. Il ressort clairement de la jurisprudence actuelle au Canada que le droit des fonctionnaires de divulguer des actes répréhensibles est protégé par la liberté d’expression garantie à l’article 2 de la Charte.

[39]  L’obligation de loyauté établie par la common law est aussi reconnue par la Charte : elle constitue une limite prescrite « par une règle de droit » au sens de l’article premier. Cette obligation est considérée essentielle à la promotion d’une fonction publique efficace et au bon fonctionnement d’une société démocratique. La Cour fédérale l’a souligné dans la décision Haydon c Canada, [2001] 2 CF 82 (Haydon no 1). Dans cette décision, la Cour fédérale a établi que les principes adoptés dans l’arrêt Fraser étaient visés par la Charte : elle a affirmé que l’obligation de loyauté des fonctionnaires constituait l’une des limites raisonnables au sens de l’article premier. La juge Tremblay-Lamer a affirmé ce qui suit :

En conclusion, je suis d’avis que l’obligation de loyauté en common law, telle qu’elle est exprimée dans l’arrêt Fraser, respecte suffisamment la liberté d’expression qui est garantie par la Charte et donc qu’elle constitue une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte. (paragraphe 89)

[40]  La Cour fédérale reconnaît donc qu’un fonctionnaire peut être protégé par la Charte et la common law lorsqu’il divulgue des actes illégaux ou bien des pratiques ou des politiques qui peuvent porter atteinte à la sécurité publique. Elle a aussi précisé que la défense de dénonciation, énoncé dans l’arrêt Fraser, s’applique aux questions d’intérêt public.

[41]  Au fur et à mesure que les principes juridiques établissant l’équilibre entre l’obligation de loyauté et la liberté d’expression se sont précisés, le gouvernement fédéral a mis en place plusieurs initiatives dans le domaine des valeurs et de l’éthique. Ces initiatives ont mené à l’élaboration du cadre légal actuel visant la divulgation d’actes répréhensibles et la protection des divulgateurs.

[42]  En 2004, le projet de loi C­25 visant l’adoption de la Loi sur la protection des fonctionnaires dénonciateurs d’actes répréhensibles a été déposé au Parlement. Le projet de loi avait pour but de remplacer la Politique sur la divulgation interne d’information concernant des actes fautifs au travail. Ce projet de loi prévoyait notamment une définition de représailles et établissait que l’exercice de représailles constituait un acte répréhensible. Le projet de loi est mort au feuilleton lorsque l’élection générale de 2004 a été déclenchée.

[43]  En 2004, le Code criminel a été modifié par l’ajout du paragraphe 425.1(1), qui interdit à un employeur d’exercer des représailles contre un employé qui a divulgué la commission d’une infraction à une loi fédérale ou provinciale. Cette disposition prévoit ce qui suit : commet une infraction quiconque, étant l’employeur ou une personne agissant au nom de l’employeur, prend des sanctions disciplinaires, rétrograde ou congédie un employé ou prend d’autres mesures portant atteinte à son emploi – ou menace de le faire – au motif que l’employé a divulgué ou avait l’intention de divulguer une activité criminelle.

[44]  En 2005, le projet de loi C­11 visant l’adoption de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles a reçu la sanction royale, mais la Loi n’était pas entrée en vigueur lorsque l’élection générale de 2006 a été déclenchée. Des dispositions de la Loi prévoient que le commissaire fait directement rapport au Parlement. La Loi prévoit aussi une meilleure protection contre les représailles pour les personnes qui présentent des divulgations publiques protégées.

[45]  La Loi fédérale sur la responsabilité (C­2) a reçu la sanction royale le 12 décembre 2006. Cette loi omnibus a modifié plusieurs lois, y compris la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Ces modifications ont mené à l’établissement du régime actuel de protection des divulgateurs, notamment la création du Tribunal. La Loi est entrée en vigueur le 15 avril 2007. Elle a confirmé la défense de dénonciation établie par la jurisprudence et l’a utilisée comme point de départ pour l’établissement du régime. Elle a aussi confirmé qu’il faut tenir compte de l’obligation de loyauté des fonctionnaires ainsi que de la primauté de la liberté d’expression.

[46]  La Loi a aussi élargi la portée des circonstances établies dans l’arrêt Fraser dans lesquelles il est possible de faire une divulgation d’actes répréhensibles : l’usage abusif des fonds ou des biens publics; les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public; le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement; la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu de la Loi et le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un de ces actes répréhensibles.

[47]  La Loi crée un vaste régime de protection des divulgateurs au sein du secteur public; grâce à ce régime, les divulgations peuvent être effectuées à différents moments et à différents échelons : à l’interne, à savoir à un supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur du ministère ou de l’organisation (article 12); à l’externe, à savoir au commissaire (article 13), ou, s’il n’y a pas suffisamment de temps pour faire la divulgation d’une infraction grave à une loi fédérale ou d’un risque imminent, grave et précis, la divulgation peut être faite publiquement (paragraphe 16(1)).

[48]  La création du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs – un nouveau tribunal spécialisé et indépendant – constitue une approche très différente des modèles traditionnels de réparation en matière de relations de travail. Le commissaire, s’il est d’avis que « l’instruction de la plainte au Tribunal est justifiée », peut maintenant demander au Tribunal de décider si des représailles ont été exercées (paragraphe 20.4(1)). Le paragraphe 20.8(3) de la Loi confère au Tribunal le pouvoir d’engager des experts. Cela assure un degré d’expertise dans le domaine des représailles et de la divulgation qui transcende celle des membres nommés. Les membres du Tribunal, y compris le président, sont des juges nommés par le fédéral.

[49]  En effet, l’édiction de la Loi constitue une réponse législative systématique aux tendances lourdes de la jurisprudence. Cette histoire du cadre légal au fédéral et du régime des divulgations d’actes répréhensibles en lien avec la jurisprudence confirme que la Loi a été adoptée après une mûre réflexion et un examen approfondi. Elle n’a pas été improvisée ni créée sur un coup de tête. Les questions en litige soulevées dans la présente requête doivent être examinées dans ce contexte.

LA QUESTION DU STATUT QUASI CONSTITUTIONNEL DE LA LOI

[50]  Le plaignant soutient que la Loi doit être interprétée en tenant compte de son préambule et de son renvoi à la liberté d’expression, laquelle est une importante valeur de la Charte et est aussi reconnue comme étant une importante liberté dans la jurisprudence en général. Il soutient que, même sans renvoi direct à la Charte, une loi peut jouir d’un statut quasi constitutionnel, et il a fait valoir la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, ch P­2, la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, ch 31 (4e suppl.) et la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch H­6). Il soutient qu’en l’espèce la Loi devrait aussi avoir ce statut spécial. Le précédent qu’il invoque, qui portait sur une loi unique visant un groupe précis, donnait aussi à penser que ce statut spécial pourrait s’appliquer même si la loi établissait des droits fondamentaux particuliers pour un groupuscule de la société (Writers Union of Canada c The League of Canadian Poets (dossier no 95-0014-A). Le plaignant avance qu’il faut interpréter la Loi de façon juste, large et libérale. Il note que, lorsqu’une loi quasi constitutionnelle et une autre loi ne sont pas compatibles, c’est la loi ayant un statut spécial qui prime dans l’interprétation du conflit en question.

[51]  L’employeur et les défendeurs à titre individuel n’ont pas souscrit à la position du plaignant et ont souligné des différences entre la Loi et d’autres lois auxquelles on a reconnu un statut quasi constitutionnel. Ils font valoir que le préambule en soi ne peut pas conférer ce statut à la Loi; il s’agit d’un statut de nature exceptionnelle et il faut que la loi soit considérée comme étant une loi fondamentale pour qu’on lui confère ce statut.

[52]  Le Tribunal reconnaît qu’il doit jouer son rôle afin de s’assurer que ce nouveau régime ne soit pas « affaibli ». Il convient de rappeler que la Loi d’interprétation fédérale précise que les lois sont censées être réparatrices et doivent ainsi s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets (CN c Commission canadienne des droits de la personne, [1987] 1 RCS 1114, page 1134).

[53]  Tant le cadre de la Loi que son libellé révèlent l’importance que le Parlement accorde à l’intégrité dans l’administration publique fédérale et au besoin d’établir des mécanismes opportuns et efficaces pour atteindre ses objectifs. Le préambule de la Loi reconnaît quatre principes importants :

  • i) l’administration publique est une institution nationale essentielle au fonctionnement de la démocratie parlementaire canadienne;

  • ii) il est dans l’intérêt public de maintenir et d’accroître la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires;

  • iii) la confiance dans les institutions publiques ne peut que profiter de la création de mécanismes efficaces de divulgation des actes répréhensibles et de protection des fonctionnaires divulgateurs;

  • iv) les fonctionnaires ont un devoir de loyauté envers leur employeur et bénéficient de la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés.

[54]  L’article 13 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, ch I­21, dispose que : « Le préambule fait partie du texte et en constitue l’exposé des motifs. » En l’espèce, le préambule et son libellé précis corroborent l’importance que le Parlement accorde à la Loi. L’objectif de la Loi est de maintenir et d’accroître la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires. L’administration publique fédérale est une institution nationale essentielle au fonctionnement de la démocratie parlementaire canadienne. Aux fins d’interprétation de la Loi, il faut établir un juste équilibre entre l’obligation de loyauté et le droit à la liberté d’expression. Puisqu’elle permet d’accorder des réparations aux fonctionnaires qui ont fait l’objet de représailles, y compris une possible indemnisation pour les souffrances et les douleurs qui en découlent, la Loi est une loi de nature réparatrice. Par conséquent, il faut interpréter la Loi de façon large et libérale, à la lumière de ses objectifs, de son préambule et de sa nature réparatrice.

[55]  Une interprétation large de la Loi n’empêche pas l’application des règles ordinaires d’interprétation des lois. C’est d’autant plus vrai lorsque le libellé de la loi et l’intention du législateur sont clairs. Même si une loi a effectivement un statut spécial, ce statut n’a pas pour effet de modifier l’approche traditionnelle d’interprétation des lois (Lavigne c Canada, [2002] 2 RCS 773, paragraphe 25). En l’espèce, il n’est pas nécessaire d’établir si la Loi est de nature quasi constitutionnelle, et le Tribunal n’examinera pas cette question dans la présente affaire. Un tel examen est important lorsqu’il faut interpréter des dispositions non compatibles ou pour combler des lacunes dans une loi afin de donner effet à une politique. Cependant, comme le Tribunal l’expliquera plus loin, l’intention du législateur est claire en ce qui a trait à la portée de la compétence et au rôle du commissaire et du Tribunal.

LE CADRE LÉGISLATIF DE LA LOI SUR LA PROTECTION DES FONCTIONNAIRES DIVULGATEURS D’ACTES RÉPRÉHENSIBLES

[56]  Le plaignant soutient que le libellé de la Loi doit être interprété de façon à permettre au Tribunal d’examiner de manière large la demande dont il est saisi, y compris l’ensemble des allégations de la plainte initiale. Il a invoqué le paragraphe 20.4(1) de la Loi qui dispose que le commissaire peut demander au Tribunal de décider si des représailles ont été exercées contre le plaignant si, après réception du rapport d’enquête, le commissaire est d’avis que l’instruction de la plainte au Tribunal est justifiée. Le plaignant soutient que le pouvoir accordé au Commissaire par l’article 21.2 de la Loi révèle que le législateur avait l’intention que le Tribunal soit maître de sa propre procédure. Il a plaidé, en conclusion, que le Tribunal ne peut pas être limité par les conclusions de l’enquêteur ou du commissaire.

[57]  Le plaignant a aussi fait valoir les articles 21.4 et 21.5 de la Loi qui prévoit que, sur demande présentée par le commissaire, le Tribunal doit décider si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant. Il allègue que, suivant ces dispositions, le Tribunal doit entendre et examiner l’ensemble de la plainte avant de décider si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant. Suivant cette allégation, il serait clair que le législateur n’avait pas l’intention que la compétence du Tribunal soit limitée par les conclusions du commissaire après qu’une demande a été présentée.

[58]  Le plaignant a soutenu que, si le Tribunal ne se penchait que sur une des allégations de représailles, il déléguerait ainsi son pouvoir de décision au commissaire. Le plaignant a invoqué les principes généraux applicables aux modifications des plaintes dont sont saisis les tribunaux des droits de la personne. Dans ces circonstances, les questions qui découlent d’un même ensemble de faits devraient normalement être entendues de concert parce que cela augmente l’efficience de la procédure et prévient la possibilité de décisions incompatibles (Cook c Onion Lake First Nation, [2002] DCDP no 12 (QL)). Il y a un autre élément important dont il faut tenir compte lorsque l’on décide si une plainte en matière de droits de la personne doit être modifiée : le préjudice que le défendeur subira du fait de cette modification (Parent c Canada (Forces armées canadiennes), 2006 CF 1313). Le plaignant a aussi noté que c’est au Tribunal, et non au commissaire, qu’il incombe de statuer sur le fond (Société du Musée canadien des civilisations c Alliance de la fonction publique du Canada, 2006 CF 703).

[59]  Appliquant les mêmes principes à la demande sous‑jacente, le plaignant avance que les allégations de représailles découlent toutes d’un même ensemble de faits et font l’objet d’une seule plainte. Il soutient aussi que le Tribunal peut éviter qu’il y ait préjudice grâce la flexibilité que lui confère le paragraphe 21.4(3) de la Loi, suivant lequel il peut ajouter des parties à l’instance.

[60]  Le commissaire a affirmé que les trois allégations découlent des faits constituant le fondement de la plainte initiale et que le plaignant ne demande pas au Tribunal de rendre une ordonnance prévoyant que le Tribunal se penche sur une nouvelle plainte distincte. Le commissaire soutient que le Tribunal peut se pencher sur les trois allégations parce qu’elles font partie de la plainte de représailles initiale et qu’elles ont été acceptées pour enquête par le commissaire.

[61]  Le commissaire souligne que le Tribunal ne détient aucun pouvoir de contrôle sur ses décisions visant la recevabilité de la plainte après son dépôt (article 19.4); ni sur la décision selon laquelle il est justifié de présenter une demande au Tribunal (article 20.4); ni sur la décision de solliciter, dans le cadre d’une demande, une ordonnance prévoyant la prise de sanctions disciplinaires à l’encontre de la personne qui a été identifiée par le commissaire comme étant l’auteur des représailles (alinéa 20.4(1)b)); ni, enfin, sur la décision selon laquelle il n’est pas justifié de présenter une demande au Tribunal et qu’une plainte devrait être rejetée (article 20.5).

[62]  Le commissaire a affirmé qu’il ne s’opposait pas à ce que le Tribunal se penche sur les trois allégations de représailles parce que les trois allégations avaient fait l’objet d’une enquête. Si le commissaire avait décidé dès le début de ne pas mener d’enquête à l’égard des deux autres allégations, il aurait contesté la requête. Le commissaire a aussi plaidé que, dans la mesure où les défendeurs à titre individuel ne subissent aucun préjudice grave, le Tribunal a le pouvoir de se pencher sur les trois allégations. En outre, il a fait valoir que le plaignant et le commissaire sont des parties distinctes à l’instance et que le plaignant peut contester les conclusions tirées par le commissaire concernant des questions de fait et de droit. Il a cependant mis en garde le Tribunal que, s’il acceptait de se pencher sur les trois allégations, il ne pourrait toutefois pas contrôler la décision du commissaire quant au choix des défendeurs à titre individuel.

[63]  L’employeur a fait valoir que le législateur avait clairement eu l’intention de créer un organisme pour faire l’examen préalable des plaintes et que ce pouvoir ne devait pas être conféré à un autre organisme. Il soutient que le législateur a expressément conféré au commissaire le pouvoir de décider si une demande devait être présentée au Tribunal. Si le législateur avait voulu conférer ces pouvoirs au Tribunal, il l’aurait précisé dans la Loi.

[64]  L’employeur invoque les articles 19.1, 19.4, 20.4 et 20.5 de la Loi à l’appui de sa prétention selon laquelle seul le commissaire a le pouvoir d’accepter ou de rejeter une plainte déposée. Si le Tribunal avait le pouvoir d’accepter des allégations que le commissaire a estimé non fondées, il exercerait alors dans les faits un contrôle judiciaire, et il empièterait ainsi sur la fonction de contrôle de la Cour fédérale.

[65]  L’employeur a renvoyé à l’article 21.1 pour affirmer que le Tribunal n’a compétence qu’après réception d’une demande du commissaire. Il a avancé que le commissaire, sur le fondement de l’enquête menée par le Commissariat, avait le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner suite à deux des trois plaintes déposées. Il a soutenu que cette interprétation est appuyée par le libellé du préambule qui prévoit notamment des « mesures efficaces » et le besoin d’atteindre [traduction] « l’équilibre entre deux principes importants, soit le devoir de loyauté envers l’employeur et la liberté d’expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés ».

[66]  L’employeur a aussi estimé que le régime des droits de la personne était presque identique au régime de protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Le régime des droits de la personne prévoit un processus à deux volets suivant lequel la Commission canadienne des droits de la personne renvoie une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne. Par contre, ce n’est pas le Tribunal qui détermine les parties de la plainte dont il est saisi. Ce rôle incombe plutôt à la Commission canadienne des droits de la personne. L’employeur a affirmé que la Commission canadienne des droits de la personne n’était pas un organisme décisionnel et qu’il effectuait plutôt un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue dans une enquête préliminaire (Cooper c Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854). Si le plaignant n’est pas satisfait de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne, il n’a qu’un seul recours : il peut demander le contrôle judiciaire de cette décision.

[67]  L’employeur a affirmé que plusieurs précédents – y compris des précédents invoqués par le plaignant et la Commission – appuient sa position selon laquelle, dans le cadre du régime de protection contre les représailles, seule la demande présentée par le commissaire confère compétence au Tribunal. L’employeur a conclu en affirmant que le Tribunal n’a pas le pouvoir de contester la validité de la décision du commissaire de lui renvoyer une plainte (Cook; Société du Musée canadien des civilisations c Alliance de la fonction publique du Canada; Wang c York Regional Police Services, 2007 HRTO 11 (CanLII), paragraphes 12 et 13).

[68]  Les défendeurs à titre individuel et les parties intéressées ont appuyé en grande partie l’argument de l’employeur portant sur le cadre législatif de la Loi. Ils ont affirmé que la compétence du Tribunal découle de sa loi habilitante, et ils ont essentiellement fait valoir que le Tribunal est une pure création de la loi. Ils soutiennent que la Loi établit que le rôle du commissaire est de faire l’examen préalable des plaintes et que c’est l’enquête menée par le Commissariat qui révèle s’il est justifié que le Tribunal se penche sur certaines des allégations formulées dans la plainte ou sur toutes ces allégations. Par conséquent, ce n’est pas la plainte, mais la demande même qui constitue l’acte introductif d’instance devant le Tribunal.

[69]  Pour l’examen de ces observations, il est utile de se pencher sur le double rôle du commissaire : il reçoit les divulgations faites en vertu de la Loi et il décide s’il renvoie une demande au Tribunal. L’examen de ces deux rôles et des étapes composant le processus lié aux demandes révèle dans quelles circonstances le Tribunal a compétence, aide à trouver l’acte introductif d’instance qui permet au Tribunal de se saisir d’une affaire et est utile pour comprendre la portée de la compétence du Tribunal.

[70]  Le libellé de la Loi est clair en ce qui a trait aux étapes du processus visant à protéger les fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles. Lorsqu’un fonctionnaire décide de faire une divulgation au commissaire, soit une divulgation présentée à l’extérieur de son organisation, la Loi prévoit un processus à deux volets. Le premier volet est lancé par le fonctionnaire. Si le fonctionnaire croit qu’il a été victime de représailles après avoir fait une divulgation protégée d’actes répréhensibles, il doit déposer une plainte auprès du Commissariat (article 19.1). Le fonctionnaire ne peut pas déposer sa plainte directement au Tribunal. Seul le commissaire peut recevoir la plainte.

[71]  C’est le commissaire qui lance le second volet. Le commissaire présente une demande au Tribunal s’il est d’avis que l’instruction de la plainte est justifiée (paragraphe 20.4(1)). Il ressort très clairement de ce processus à deux volets établi par la Loi que seul le commissaire peut présenter une demande au Tribunal.

[72]  Le commissaire doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider si une demande doit être présentée au Tribunal. À cet égard, le processus suivi par le commissaire peut être divisé en quatre étapes.

[73]  Étape no 1 – Évaluer la recevabilité de la plainte. La première étape consiste à évaluer la recevabilité de la plainte (paragraphe 19.4(1)). Il faut tenir compte de nombreux facteurs dans cette évaluation, notamment la forme de la plainte (paragraphe 19.1(1)), le moment du dépôt (paragraphe 19.1(2)), les recours prévus par toute autre loi fédérale ou toute convention collective (alinéa 19.3(1)a)), la compétence du commissaire (alinéa 19.3(1)c)) et la question de savoir si le plaignant a déposé la plainte de bonne foi (alinéa 19.3(1)d). Le commissaire ne peut pas statuer sur une plainte si une personne ou un organisme a été saisi de l’objet de la plainte au titre d’une autre loi fédérale ou d’une convention collective (paragraphe 19.3(2)). Si le commissaire conclut que la plainte n’est pas recevable, sa décision est définitive et le dossier est clos.

[74]  Étape no 2 – Décider d’enquêter ou non. Dans le cadre de la présente étape, le commissaire doit décider s’il enquêtera sur la plainte (paragraphe 19.7(1)). Si le commissaire décide d’enquêter sur la plainte, il peut charger une personne d’enquêter (article 19.7). Au cours de l’enquête, l’enquêteur peut recommander au commissaire de nommer un conciliateur pour tenter d’en arriver à un règlement de la plainte (paragraphes 20(1) et (2)). Si un règlement est conclu, il doit être approuvé par le commissaire (paragraphe 20.2(1)). Si le commissaire approuve un règlement prévoyant les mesures de réparation à prendre à l’égard du plaignant, la plainte est rejetée (paragraphe 20.2(2)). Si le commissaire approuve une entente prévoyant les sanctions disciplinaires à infliger à une personne, le commissaire ne peut pas demander au Tribunal de statuer sur la prise de sanctions disciplinaires (paragraphe 20.2(3)).

[75]  Étape no 3 – Décider s’il est justifié de présenter une demande au Tribunal. Le commissaire, dans le cadre de la troisième étape, décide s’il est justifié de présenter une demande au Tribunal. Le commissaire doit établir s’il y a des motifs raisonnables de croire que des représailles ont été exercées, si l’enquête n’a pas pu être terminée faute de collaboration et s’il est dans l’intérêt public de présenter une telle demande (paragraphe 20.4(3)). Ces facteurs constituent les « fondements » de la décision du commissaire de présenter une demande au Tribunal, c’est ce que révèle l’alinéa 5b) des Règles de pratique du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, DORS/2011­170. Si le commissaire est d’avis que l’instruction de la plainte par le Tribunal n’est pas justifiée, il rejette la plainte (article 20.5).

[76]  En ce qui concerne l’étape no 3, l’article 20.5 de la Loi prévoit que, si, après réception du rapport d’enquête, le commissaire est d’avis que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’instruction de la plainte par le Tribunal n’est pas justifiée, il rejette la plainte. Le Tribunal conclut que cette disposition peut être invoquée pour rejeter la plainte dans son ensemble ou pour rejeter certaines allégations formulées dans la plainte. Le régime de la Loi appuie cette interprétation parce que la Loi reconnaît le rôle du commissaire en tant que « gardien » de l’accès au Tribunal. Le législateur ne saurait avoir eu l’intention de créer un organisme ayant ce rôle pour ensuite exiger que ce rôle de gardien ne puisse viser que l’ensemble de la plainte et non des parties de la plainte. Sinon, le législateur aurait mis en place un régime prévoyant que les plaintes de divulgation soient directement présentées au Tribunal. Le Tribunal aurait compétence de facto et cette compétence ne résulterait pas d’un examen préalable. La version française de l’article 20.5 de la Loi appuie aussi cette approche : la décision du commissaire de rejeter la plainte doit être prise « compte tenu des circonstances relatives à la plainte ».

[77]  Étape no 4 – Établir la portée de la demande dont est saisi le Tribunal. La quatrième étape a lieu si la demande doit être présentée au Tribunal. À cette étape, le commissaire établit la portée de la demande qu’il présentera. Le commissaire doit décider si le Tribunal doit seulement statuer sur les mesures de réparation à l’égard du plaignant (alinéa 20.4(1)a)), ou si le Tribunal doit statuer sur ces mesures ainsi que sur les sanctions disciplinaires à l’encontre de l’auteur des représailles (alinéa 20.4(1)b)). Plus précisément, le commissaire doit demander au Tribunal de décider si des représailles ont été exercées contre le plaignant et, dans l’affirmative, le commissaire demandera au Tribunal d’ordonner la prise de mesures de réparation à l’égard du plaignant. S’il y a lieu, le commissaire peut également demander au Tribunal d’ordonner la prise de sanctions disciplinaires à l’encontre de l’auteur des représailles.

[78]  En ce qui a trait à l’étape no 4, la version anglaise du paragraphe 20.4(1) de la Loi dispose qu’une demande présentée au Tribunal est faite « in relation to the complaint » [[traduction] « en lien avec la plainte »]. Il ressort de ce passage que la demande même est l’acte introductif d’instance auprès du Tribunal et que, dans certaines affaires, l’examen préalable mené par le commissaire puisse entraîner le renvoi, par voie de demande, de seulement certaines allégations de la plainte initiale. La version française de cette disposition n’a pas tout à fait le même libellé. Elle prévoit ce qui suit : « Si [...] le commissaire est d’avis que l’instruction de la plainte par le Tribunal est justifiée [...]. » La traduction littérale de ces mots en anglais renvoi au mot « complaint » (« plainte »). Cependant, la note marginale des versions anglaise et française de cette disposition révèle clairement que le renvoi dans l’article 20.4 a trait à un processus prévoyant la présentation d’une demande.

[79]  Les décisions prises dans ces quatre étapes ont trait à l’examen préalable d’une plainte qui pourrait ou non être présentée au Tribunal par le commissaire par voie de demande. Ces décisions reflètent le rôle que joue le commissaire en tant que « gardien » de l’accès au Tribunal au titre de la Loi. Ce rôle est important. Les décisions cernées dans ces quatre étapes ont un caractère définitif. Rien dans la Loi n’autorise le réexamen des décisions prises dans le cadre de l’examen préalable. Le Tribunal n’a pas non plus le pouvoir de les réexaminer. La seule façon de contester les décisions du commissaire est par voie de demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale.

[80]  Vue sous un autre angle, la compétence du Tribunal lui est conférée par la demande présentée par le commissaire. Les étapes du processus décisionnel du commissaire peuvent ou non aboutir à une telle demande. Les troisième et quatrième étapes de ce processus peuvent mener au renvoi d’une demande portant sur toutes les allégations de la plainte initiale déposée au Commissariat ou d’une demande portant sur seulement certaines de ces allégations.

[81]  En résumé, il faut en l’espèce tenir compte du cadre de la Loi, qui a été établi par suite d’une longue réflexion. La question dont est saisi le Tribunal n’est pas de savoir si le Tribunal pourrait ou non être « empêché par préclusion » de se pencher sur l’ensemble de la plainte. Il faut tenir compte des rôles et des responsabilités du Tribunal et du commissaire dans le régime de divulgation d’actes répréhensibles et de protection contre les représailles. En outre, le fait que le Tribunal dispose de vastes pouvoirs pour ajouter des parties afin de garantir l’équité du processus ne peut pas trancher la question de savoir si le Tribunal peut se pencher sur l’ensemble des allégations formulées dans la plainte initiale. Ces types de considérations d’ordre procédural sont traités après, et non avant, que le Tribunal a obtenu compétence. Le Tribunal obtient compétence dans une affaire lorsque la demande et les allégations formulées dans la demande lui sont renvoyées. La portée de la compétence qui découle de ce renvoi est établie par la demande.

[82]  Le Tribunal ne peut pas accepter l’argument du commissaire selon lequel le Tribunal devrait s’attribuer compétence et examiner l’ensemble de la plainte sur le fondement de l’alinéa 20.4(3)b). Cette disposition porte sur le manque de collaboration dans le processus d’enquête. La présente affaire concerne une situation totalement différente : le commissaire a déjà rejeté deux allégations dans la plainte.

[83]  À titre d’exemple, et bien que la comparaison ne tranche pas la question, les parallèles entre la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles et la Loi canadienne sur les droits de la personne appuient cette interprétation. Il ressort clairement de ces régimes législatifs que l’intention du législateur était d’avoir un organisme jouant le rôle de gardien. Les deux lois prévoient un processus à deux volets : seuls les organismes ont le droit de recevoir des plaintes et d’en faire l’examen préalable, et seuls les organismes peuvent décider si les allégations dans une plainte peuvent être renvoyées à leur tribunal respectif pour qu’il tranche l’affaire. Ces régimes ne prévoient pas l’accès direct au tribunal.

[84]  Les précédents en matière de droits de la personne invoqués par les parties mettent aussi en évidence toute l’importance de l’examen préalable, mis en place par l’établissement d’un processus à deux volets, lequel processus commence par l’enquête menée par la commission puis mène au renvoi de la demande au tribunal. Cependant, les précédents invoqués ne s’appliquent pas à la situation précise en l’espèce. Ils portent en grande partie sur des questions ayant trait à des modifications de plaintes présentées à un tribunal et non sur la question de modifications de plaintes ayant déjà été rejetées en partie par un organisme. (Il existe d’autres décisions non invoquées qui portaient sur une situation semblable à celle de la présente affaire et qui appuyaient l’interprétation exposée ci­dessus (Kowalski c Ryder Integrated Logistics, 2009 TCDP 22; Côté c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2003 TCDP 32).)

LA PORTÉE DU POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DU TRIBUNAL EN MATIÈRE DE PROCÉDURE

[85]  On ne saurait contester le principe général soulevé par le plaignant selon lequel le Tribunal, comme de nombreux autres tribunaux administratifs, est maître de sa procédure et possède un grand pouvoir discrétionnaire quant à la façon dont les instances doivent être gérées pour assurer leur caractère équitable et impartial. Cependant, la fonction décisionnelle du Tribunal est subordonnée à la réception de la demande du commissaire. Ce n’est que lorsque le Tribunal est saisi d’une affaire qu’une audience est tenue. Le Tribunal n’est pas alors saisi du contrôle judiciaire de la décision du commissaire. En fait, le Tribunal siège en première instance.

[86]  Plusieurs dispositions de la Loi reconnaissent l’expertise du Tribunal lorsqu’il doit décider si des représailles ont été exercées. Contrairement au commissaire lors des examens préalables, le Tribunal détient de grands pouvoirs décisionnels. L’article 21.5 donne au Tribunal le pouvoir de décider si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant et si les mesures prises par la personne identifiée dans la demande du commissaire constituaient des représailles. Si le Tribunal estime que des représailles ont été exercées, il peut aussi ordonner la prise de mesures de réparation en faveur du plaignant. Le Tribunal peut ajouter des parties à l’instance s’il estime que c’est nécessaire. Il a le pouvoir d’ordonner la prise de sanctions disciplinaires en lien avec les représailles. Suivant le paragraphe 21.2(1), le Tribunal a le pouvoir d’assigner et de contraindre les témoins à comparaître et à déposer sous la foi du serment, de faire prêter serment, de recevoir des éléments de preuve par déclaration verbale ou écrite sous serment et de trancher toute question de procédure ou de preuve.

[87]  Suivant la partie I de la Loi sur les enquêtes, LRC 1985, ch I­11, les « organismes » créés ont, pour contraindre les témoins à comparaître et à déposer, les pouvoirs d’une cour d’archives en matière civile. D’ordinaire, ces pouvoirs sont conférés à un organisme décisionnel appelé à tirer des conclusions de fait et des conclusions relatives à la crédibilité. Lorsqu’il enquête sur une plainte de représailles, le commissaire ne possède pas les pouvoirs prévus à la partie I de la Loi sur les enquêtes. (C’est pourquoi l’alinéa 20.4(3)b), qui porte sur le manque de collaboration dans une enquête menée par le commissaire, constitue l’un des facteurs dont doit tenir compte le commissaire dans sa décision de présenter une demande au Tribunal.)

[88]  Contrairement au commissaire, le Tribunal se prononce en tant que décideur impartial lorsqu’il décide si des représailles ont été exercées. Il entend les positions contradictoires des parties ainsi que les témoins. Il incombe au Tribunal de tirer des conclusions de fait et des conclusions relatives à la crédibilité sur le fondement de l’examen de la preuve dont il dispose. Un cadre de règles de procédure est en place pour garantir l’équité, la transparence et l’objectivité du processus décisionnel.

[89]  Le Tribunal ne peut pas exercer ses pouvoirs tant que le contenu de la demande ne lui a pas précisé la portée de sa compétence. Il peut y avoir des situations, comme en l’espèce, où une demande est renvoyée au Tribunal et où le plaignant est néanmoins insatisfait parce que le commissaire avait décidé d’écarter certaines allégations de la plainte initiale déposée auprès du Commissariat. Malgré tout, le Tribunal n’a pas le pouvoir de modifier la demande pour y ajouter des allégations.

NATURE FONDAMENTALE DU LITIGE

[90]  Le plaignant a soulevé des réserves quant au manque de fluidité du régime de la Loi, parce que le processus décisionnel visant une demande dont seulement certaines allégations de la plainte sont renvoyées au Tribunal pourrait être subordonné à un contrôle judiciaire avant que le Tribunal donne suite à la demande. Le plaignant a invoqué les arrêts Weber c Ontario Hydro, [1995] 2 RCS 929, Vaughan c Canada, [2005] 1 RCS 146, 2005 CSC 11, ainsi que le récent arrêt Amos c Canada, 2011 CAF 38, rendu par la Cour d’appel fédérale.

[91]  Le Tribunal reconnaît la réserve sous­jacente formulée par le plaignant concernant les façons subtiles dont les mesures de représailles peuvent être exercées en milieu de travail. Néanmoins, le Tribunal est d’avis qu’il doit respecter l’intention du législateur. La Loi ne renferme aucune ambiguïté qui permettrait à une personne de choisir entre un organisme ou l’autre dans les présentes circonstances ou qui permettrait au Tribunal d’adopter une approche intégrée faisant en sorte qu’il devienne l’instance de « compétence exclusive ». La Loi prévoit clairement un processus à deux volets. La réserve dans la présente requête porte, d’une part, sur le rôle du commissaire et, d’autre part, sur le rôle du Tribunal. Il est très clair que la compétence et le mandat du Tribunal sont déterminés par la nature et le contenu de la demande présentée par le commissaire. Le Tribunal n’a pas le loisir, dans les circonstances, d’interpréter la Loi de façon à déduire qu’il pourrait s’attribuer compétence et se pencher sur les deux allégations dont il n’a pas été saisi dans la présente demande.

[92]  La protection à toute épreuve des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles est une condition préalable au bon fonctionnement du régime de divulgation. L’établissement de ce régime découle, en partie, de l’importante reconnaissance du fait que, sans protection efficace, les fonctionnaires pourraient être réticents à divulguer des actes répréhensibles. Le cadre législatif est encore relativement nouveau et, à l’époque où il est entré en vigueur, il n’avait pas pu tirer profit d’une expérience pratique quelconque. La Loi prévoit qu’il est possible que, par suite d’un examen indépendant, les dispositions de la Loi soient modifiées. Un peu comme les lois qui ont modernisé de façon importante la dotation et les relations de travail dans le secteur public et qui ont propulsé des enjeux tels que la dotation en territoire inconnu (la Loi sur l’emploi dans la fonction publique et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique), la Loi prévoit, à l’article 54, qu’un examen quinquennal indépendant doit être mené et qu’un rapport de l’examen doit être déposé devant chaque chambre du Parlement.

CONCLUSION

[93]  Le législateur avait clairement l’intention qu’il incombe au commissaire d’effectuer un examen préalable pour décider si l’instruction d’une demande est justifiée. Rien n’empêche le commissaire de présenter au Tribunal une demande portant sur l’ensemble des allégations formulées dans la plainte initiale ou une demande ne portant que sur certaines de ces allégations. Qu’il incombe au commissaire de mener l’examen préalable découle logiquement de son rôle.

[94]  La demande du commissaire est l’acte introductif d’instance qui confère au Tribunal sa compétence. La décision du commissaire quant à la demande ne peut être contestée que par contrôle judiciaire en Cour fédérale.

[95]  En l’espèce, la demande du commissaire se limite à la troisième allégation, selon laquelle la cote de sécurité « Très secret » du plaignant avait été gardée en suspens. Les deux autres allégations ne font pas partie de la demande. Par conséquent, le Tribunal ne peut pas se pencher sur les deux premières allégations.

[96]  Il convient de souligner en passant que le paragraphe 19(2) de la Loi dispose que la plainte doit être déposée dans les soixante jours suivant la date où le plaignant a connaissance – ou, selon le commissaire, aurait dû avoir connaissance – des représailles y ayant donné lieu. En l’espèce, le Commissariat a pu traiter les trois allégations en même temps parce que les représailles alléguées avaient eu lieu dans un court laps de temps. Dans d’autres circonstances, toutefois, les représailles dont on se plaint pourraient avoir eu lieu sur une longue période de temps, voire pendant des années. Dans ces circonstances, la plainte visant une allégation de représailles antérieure pourrait déjà avoir été traitée (pour les besoins de l’exemple, disons que la plainte a été rejetée par le commissaire) bien avant qu’une autre plainte présentée par le même employé ne soit traitée. Il ressort clairement du libellé de la Loi et des obligations qui incombent au commissaire que, même si le commissaire concluait que les faits dans une plainte de représailles alléguées subséquente étaient liés aux faits de la plainte antérieure (qui a été rejetée dans notre exemple), il serait contraire au régime de la Loi que la plainte de représailles antérieure soit pour ainsi dire « réactivée » et renvoyée au Tribunal afin qu’il en tienne compte dans le cadre de la demande subséquente. Par conséquent, sur le fondement du régime de la Loi, et bien que les représailles alléguées en l’espèce aient été exercées dans un court laps de temps, il serait contraire au régime de la Loi et aux obligations du commissaire que les deux allégations déjà écartées soient « réactivées » et renvoyées au Tribunal dans le cadre de la demande même.

[97]  Cela étant dit, la présente requête en matière de compétence ne porte que sur la question de la portée de la demande. La décision du Tribunal sur cette question ne fait pas obstacle à la possibilité que des éléments de preuve concernant les allégations écartées par le commissaire soient pertinents quant à l’instance portant sur l’allégation qui a justifié la présentation de la demande. Les faits liés aux allégations écartées pourraient être pertinents pour établir le contexte de l’allégation qui, selon le commissaire, justifiait qu’une demande soit présentée au Tribunal. Cette preuve pourrait être importante pour établir le contexte lié aux séries de faits qui ont mené aux représailles alléguées en cause. Il est donc possible que la preuve ayant trait à la plainte initiale et à l’ensemble des allégations puisse être examinée à l’audience après avoir été analysée à l’aune de principes juridiques comme la recevabilité, la pertinence et la valeur probante. Toutes les parties se sont entendues à cet égard. Il est cependant trop tôt pour tirer quelque conclusion que ce soit en ce qui concerne la preuve dans la présente requête.

DÉCISION ET PROCHAINES ÉTAPES

[98]  La requête présentée par le plaignant afin de confirmer que le Tribunal a compétence pour se pencher sur l’ensemble des allégations de la plainte initiale est rejetée.

[99]  La suite logique du rejet de la requête est que les parties terminent la communication des documents et que le Tribunal fixe la date de l’audience.

[100]  Le 19 mai 2011, le plaignant a déposé un avis de demande en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du commissaire d’écarter les deux premières allégations de la plainte (dossier T-862-11). Le 11 août 2011, cette demande de contrôle judiciaire a été suspendue dans l’attente d’une autre ordonnance de la Cour fédérale (Renseignements sur les instances, document n16).

[101]  Si le plaignant décide de donner suite à la demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire dans l’affaire nT­862­11, il doit aviser le Tribunal et les parties de sa décision au plus tard le 18 octobre 2011.

[102]  Si le plaignant décide de donner suite à la demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale, le Tribunal suspendra l’instance dans l’attente d’une décision de la Cour fédérale.

[103]  Si le plaignant décide de ne pas donner suite à la demande de contrôle judiciaire visée par le dossier no T­862­11 en Cour fédérale, il doit aviser le Tribunal et les parties de sa décision au plus tard le 18 octobre 2011.

[104]  Si le plaignant décide de ne pas donner suite à la demande présentée en Cour fédérale dont il est question ci­dessus, la registraire enverra une lettre précisant l’échéancier visant la communication des exposés des précisions. La registraire fixera aussi la date pour l’instruction de l’affaire. Une conférence préparatoire sera tenue après la communication par les parties des documents et des exposés des précisions.

[105]  D’autres requêtes préliminaires concernant la demande ont été présentées suivant l’article 20.4 de la Loi. Il s’agit d’une requête en jugement sommaire; d’une requête en admissibilité de la preuve et d’une requête en prolongement d’ordonnance provisoire de confidentialité datée du 10 août 2011. Le Tribunal tranchera ces requêtes ultérieurement dans des décisions distinctes.

Le 6 octobre 2011.

 

« Luc Martineau »

Président

 « Sean Harrington »

Membre

« Marie-Josée Bédard »

Membre

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

TRIBUNAL DE LA PROTECTION DES FONCTIONNAIRES DIVULGATEURS D’ACTES RÉPRÉHENSIBLES

PARTIES INSCRITES AU DOSSIER

NUMÉRO DE DOSSIER :

2011 TPFD 1

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T-2011-01

INTITULÉ :

AUDIENCE TENUE DEVANT :

Charbel El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires et David Power et Éric Delage

Le juge Luc Martineau

Le juge Sean Harrington

La juge Marie-Josée Bédard

 

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

 

Le 6 octobre 2011

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 août 2011

COMPARUTIONS :

Me Andrew Raven

Raven, Cameron, Ballantyne and Yazbeck LLP/s.r.l.

 

Pour le plaignant

Me Brian Radford

Pour le Commissariat à l’intégrité du

secteur public

Me Ronald Caza

Me Julie Paquette

Heenan Blaikie

Pour l’employeur

Me Stephen Bird

Me Alanna Twohey

Bird Richard

Pour les défendeurs à titre individuel

et les parties intéressées

 

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